Je manque de temps pour publier ici tout ce que j'aimerai partager avec vous (et vous saurez très bientôt pourquoi!!) mais là, il y a le feu. Et quand ça va mal, qu'est-ce qu'elle fait, la mère Stelda ? Elle cherche un peu de rigolade ou de beauté à partager. Ces jours-ci, si j'en crois les discussions au boulot, dans la rue, chez le pâtissier, et même pendant les soirées raclette, il y a urgence. Donc j'ai fouillé dans mes archives et j'ai sorti le kit de secours : un reportage que j'ai effectué il y a un an, dans un atelier d'art de Tours. Le gros avantage d'être journaliste, c'est la niche fiscale la possibilité de découvrir des endroits méconnus. Comme ici, l'Atelier d'Offard. Cet endroit est magique. Et son créateur, François-Xavier Richard, est un homme à part, à cheval entre plusieurs univers.
François-Xavier Richard |
« Les couleurs, la teinture des
fibres de soie, la fabrication des planches, les machines... tout se fait sur
place, on ne sous-traite rien, explique François-Xavier Richard. Notre autonomie est notre force, elle nous
permet d’innover, s’adapter et travailler sur-mesure. » Entrer dans cet atelier, c'est entrer dans un espace hors du temps, un lieu hybride où le passé et le futur s'épousent. En fond sonore, pas de Mozart mais un rap tonitruant. Ici, tout se fait à la main : le mélange des pigments pour obtenir des couleurs sur mesure, l'impression des motifs sur le papier grâce à des planches gravées, comme des tampons géants. L'Atelier d'Offard est
un mélange de laboratoire expérimental, de manufacture à l'ancienne et
d'atelier d'artiste.
Peintre et graveur, formé aux Beaux-Arts d’Angers, son
fondateur, François-Xavier Richard est tombé dans le métier grâce à une
expérience pédagogique. « On m’a demandé d’enseigner à des jeunes élèves un
métier d’art, j’ai choisi l’impression de papier peint à la planche. » Une
technique utilisée jusqu'au milieu du dix-neuvième siècle, puis tombée peu à
peu en désuétude avec l'apparition des machines à cylindres et l’industrialisation.
L’artiste se passionne pour le
potentiel de ce savoir-faire et l'Atelier d'Offard naît en 1999. Aujourd'hui reconnu
Entreprise du patrimoine vivant, l’atelier tourangeau reste un atelier de poche, avec 4 à 5 personnes. Il imprime quelques mètres
de papier par jour, quand un fabricant classique en produit des milliers. Aucun
stock : tout est fait à la demande. Deux semaines ou quatre mois, les délais
de fabrication dépendent des recherches et du nombre de couleurs, car chaque
couleur exige un passage et certains papiers demandent une vingtaine de nuances. Pour chaque couleur, il faudra graver une planche, un modèle de papier peut demander jusqu'à 26 couleurs. Cette complexité détermine également les prix : de 50 à 250 euros le mètre, la
majorité tournant autour de 80. Des prix très raisonnables, quand on les compare à ceux pratiqués par certaines marques à la mode.
L'Atelier crée aussi des motifs contemporains et joue avec les couleurs fluo |
L'Atelier fabrique ses machines lui-même, au fil des besoins techniques. Et ils se révèlent parfois au fil d'un chantier. Cet après-midi, l’Atelier termine la
commande de l’hôtel Plaisance à Saint-Emilion. Les chambres seront tapissées
d’un papier où dansent des pois de couleur. Le motif semble enfantin, la
réalisation demande de patientes opérations. Les rouleaux de papier reçoivent
d’abord leur fond, une couche de peinture terre de sienne, puis sont brossés
avec une deuxième couleur, crème cette fois. Les imprimeurs déposent ensuite les
pois au tampon, finissant chacun à la main. Enfin, vient l’opération de
flocage, ou tontisse : chaque lé est recouvert d'une poudre de fibres de soie
teinte, qui s’accrochera à l’apprêt des pois et leur donnera leur aspect
floqué. On peut aussi recouvrir tout l'ensemble du papier, puis coucher les fibres de velours à l'aide d'une presse pour former des motifs ton sur ton.
Les fibres de soie sont déposées sur l'apprêt, puis le papier est mis à sécher |
« Le papier peint est un support de fable, d’histoire et j’aime développer cette idée-là. »
« La manière dont on aborde le
papier peint depuis presque un siècle me semble très réducteur, souligne
François-Xavier Richard. On le limite souvent au motif et à la couleur. Or, le
papier peint peut être partie intégrante de l’espace. Pour cet hôtel de luxe, le
cabinet d’architecture nous a donné les plans de chaque suite et on place les
pois sur le papier de façon aléatoire, autour des portes, des meubles… On sort
de l’idée du papier répétitif. Le papier peint n’est pas un cache-misère, c’est
un support de fable, d’histoire et j’aime développer cette idée-là, un dialogue
entre le décor et l’architecture à travers le papier. »
Il collecte des centaines de motifs retrouvés dans des archives, chez des particuliers, des antiquaires ou des musées, il part régulièrement à la recherche de motifs anciens récupérés sur des pans de murs et dont il reconstitue les dessins, tel un archéologue des arts décoratifs. Une passion sans fin, qui englobe les contraintes du papier mais aussi l'histoire et l'histoire de l'art car de nombreux artistes ont dessiné des papiers peints.
Chaque planche de bois créée à l'Atelier est
soigneusement archivée ; la maison compte plus de trois cents modèles et tous
sont personnalisables à l’infini. Gaufrés, recouverts de velours de soie,
gravés, dorés, vernis, irisés, striés, papier vergé ou intissé : pour
François-Xavier Richard, la seule limite est l’imagination. « Le papier
est un matériau extrêmement transformable et il y a des papiers de toute sorte.
J’ai créé des motifs à l’huile sur du papier japonais pour jouer avec la
lumière et lors d’une résidence d’artiste au Japon, j’ai imaginé un orgue de
papier. Le papier est un matériau fascinant, il faudrait une vie pour
l’explorer.»
Pour une maison d'édition, il a fabriqué, avec les auteurs, un livre en rouleaux, avec des dessins imprimés... à la Javel. Pour le Toguna, le nouvel espace du Palais de Tokyo inauguré fin
janvier 2017, il a utilisé du carton-pierre et créé un mur
dominoté, formé de motifs différents et en relief. Le carton-pierre, dont il a retrouvé la recette en fouillant dans des archives, lui permet de recycler ses chutes de papier : elles sont mélangées à de l'huile de lin et se transforment en une pâte qui peut se mouler, se presser ou se gaufrer de toutes les façons possibles.
La Maison de Victor Hugo, celle de
Georges Sand, de Colette, de Renoir, le château de Grignan et de Fontainebleau,
le Palais royal de Ajuda à Lisbonne, des palais aux Etats-Unis, une pharmacie historique à Florence... les papiers peints de l’Atelier
d’Offard tapissent bien des monuments historiques. Mais les commissaires d'exposition, la mode et le cinéma font
également appel à lui. Il a ainsi contribué aux décors du film La Promesse de
l’Aube. Parfois, pour des questions de budget, certains papiers peints anciens seront reproduis en impression numérique mais "le résultat ne sera pas le même. La peinture joue avec la lumière, la matité apporte de l’intensité aux couleurs. Même si l’impression numérique permet des choses intéressantes, elle est moins charnelle. »
Les décorateurs et les particuliers sont de plus en plus nombreux à
le solliciter. « On est constamment entre patrimoine et création, qu’il
s’agisse des dessins ou de la fabrication, résume François-Xavier Richard.
Offard, c’est imaginer des décors modernes avec des techniques ancestrales et
faire vivre des techniques ancestrales avec des idées modernes. »
J'ai passé plus de deux heures dans cet atelier et j'en suis ressortie apaisée. Heureuse de voir des hommes préserver le patrimoine créé par nos aïeux sans pour autant le mettre dans le formol. Entreprise du patrimoine vivant : cette expression prend ici tout son sens. L'Atelier d'Offard magnifie le passé et imagine le futur.
La page Facebook de l'atelier : vous y verrez des vidéos, des photos et toutes leurs actualités.
L’Atelier d’Offard en quelques dates :
1999 : création de l’Atelier à
Saumur puis s’installe à Tours
2006 : Prix régionale de la Sema
2009 : Prix pour l’Intelligence de la Main, Fondation
Bettencourt-Shueller
2012 : Prix du Talent de
l’Audace aux Talents du Luxe
Atelier d’Offard,
21 rue Maginot, à Tours
Papier floqué et argenté |
Planche |
C'est un chouette métier avec de jolis résultats.
RépondreSupprimerOui, un très beau métier qui renaît et remet l'art du papier à l'honneur.
SupprimerMagnifiques papiers que nous regarderons autrement !
RépondreSupprimerOui, on est loin, ici, du cache-misère :).
SupprimerJe suis ravie de revenir te lire et ce n'est pas moi qui vais te juger sur ton absence ;)
RépondreSupprimerCe reportage est passionnant, j'aime tout ce qui touche à l'artisanat et là, nous sommes carrément dans de l'art. C'est bon que des traditions se perpétuent, tu as bien raison … et en ce moment, c'est également bon de se rassurer sur la transmission des valeurs …
Merci pour ton indulgence, Laurence <3 C'est quand je lis vos commentaires que poster régulièrement sur ce blog me manque terriblement!
SupprimerJ'adore, j'adore! Je suis fan de papier peint et si je connaissais un peu les méthodes d'impressions à la main, j'ai appris plein de choses.
RépondreSupprimerJe voudrais aller visiter cet atelier moi aussi, j'avais des étoiles dans les yeux en lisant ton reportage. Merci!!!
Ils organisent des journées portes ouvertes régulièrement :). En vrai, c'est encore plus fascinant!
SupprimerQuel bel article et quels magnifiques ouvrages d'art ! Un grand merci ! Nina
RépondreSupprimerMerci, Nina. Je suis ravie d'avoir atteint mon but : partager mon émerveillement. On ne peut pas garder ça pour soi!
SupprimerBelles oeuvres! Très JOLIES réalisations !
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