Cent onze parfums qu'il faut sentir avant de mourir

 

Il y a des dizaines d'anthologies de la poésie et de la peinture : par auteur, par époque, par genre, par ordre alphabétique ou par pays mais très peu d'anthologies du parfums. Elles doivent se compter sur les doigts d'une main. Mais pourquoiiiii ? La première explication qui vient à l'esprit, c'est la taille de la production. Oui mais non : en 2012, 1200 parfums étaient lancés dans le monde entier et en 2016, il y en a eu... 2000, dont 41 % de niche, donc peu connus. Ca fait quand même une bonne base. En dix ans, on a de quoi éplucher, grosso modo, 10 000 parfums. De quoi faire un Petit Larousse de poche.

L'anthologie éditée par les auteurs de la revue Nez porte un titre un brin provocateur : Les Cent onze parfums qu'il faut sentir avant de mourir. Effectuée sur plus d'un siècle de parfumerie, la sélection des auteurs est forcément subjective mais elle révèle les périodes charnières de l'industrie, des évolutions, parfois des révolutions, qui semblent aujourd'hui évidentes. Cet ouvrage est aussi un très bel hommage aux créateurs de parfums, ces magiciens dont le nom est quasi toujours effacé par le nom de leur créature.

Je pense que le parfum (et les odeurs en général) sont essentiels aujourd'hui plus que jamais. Ils s'inscrivent dans ce temps long qui nous manque, qu'on recherche. 

Mais comment ce livre est-il né ? Interview à batons rompus avec Jeanne Doré, rédactrice en chef du site Au parfum et co-auteur de Cent onze parfums qu'il faut sentir avant de mourir :


Le livre rappelle que les grandes marques sont aussi capables d'originalité, j'ai trouvé ça extra. Pour moi, Infusion d'Iris de Prada, par exemple, est aussi travaillé et possède une personnalité aussi forte qu'un parfum de Serge Lutens. Je vois Les cent onze parfums comme une anthologie mais aussi un guide qui donne envie de redécouvrir des pépites oubliées ou cachées dans la forêt des parfumeries. Etait-ce votre idée de départ ?
Tout a commencé par le dossier “les 111 parfums qu’il faut sentir avant de mourir” publié en 2014 sur Auparfum, qui avait suscité beaucoup d'enthousiasme. Nous avions eu envie de faire la liste des parfums qui comptent, une sorte de guide du passionné de parfums, mais pas uniquement.
On a rassemblé les parfums qu’il faut connaître pour se faire une culture personnelle, comprendre la parfumerie dans toute sa diversité, esthétique et chronologique, pouvoir discuter avec un connaisseur sans avoir l’air inculte ou, tout simplement, savoir qu’ils existent.
En petite équipe, Yohan Cervi, Alexis Toublanc et moi-même avons commencé fin 2016 par remettre à plat la sélection pour l’actualiser, faire quelques ajustements, puis nous nous sommes répartis les textes pour les réécrire.


Cent onze parfums, c'est beaucoup mais très peu sur un siècle de parfumerie quand on sait qu'il sort aujourd'hui 2000 jus par an. Comment avez-vous fait votre sélection ? Vous avez écrit l'ouvrage à trois, vous étiez tous d'accord ou les choix ont été difficiles ?
C’est le défi d’une liste, sa limite !  Oui, il y a de plus en plus de lancements de parfums, mais les cycles de vie sont de plus en plus courts. Quasiment aucun des parfums lancés depuis une dizaine d’années n’est voué à vivre 100 ans.
Nous avons d’abord listé tous les grands classiques qui ont marqué leur époque, les incontournables, qui ont eu une influence majeure sur l’histoire de la parfumerie. Et puis nous avons intégré des choix plus intimes, personnels, moins évidents, moins connus, mais qui correspondaient à des préférences personnelles des rédacteurs. Ce ne sont pas tous des best-sellers, ni tous des chefs d’œuvre, ou même des parfums que l’on aime tous, mais ils sont tous importants à leur manière. Et quand on hésitait, on se posait toujours la question  : “pourrait-on mourir sans avoir senti celui-là” ?


Pourquoi avoir choisi de l'illustrer avec des dessins très épurés ? Des photos ou les esquisses des flacons sont plus courantes. Est-ce votre choix ou celui de l'éditeur ?
Nous avons choisi de manière concertée de montrer les flacons redessinés sous tous les angles, ce qui permet de prendre du recul avec la représentation du parfum en tant que produit de consommation, ce que ne permet pas une photographie fournie par une marque, par exemple. Les flacons ainsi représentés sont donc tous traités sur le même plan, sous leurs différents profils, ce qui permet de privilégier la valeur culturelle de ces parfums, et non pas commerciale.


Les anthologies sur le parfum sont rares. Est-ce parce que le parfum n'est pas considéré comme une création (pour moi, c'est pourtant un art !) ? Parce que les spécialistes du parfum utilisent beaucoup de termes techniques et cultivent l'entre-soi ? Ou parce qu'il est assez difficile pour le lecteur lambda d'imaginer un parfum via un livre ?
La parfumerie entretient depuis longtemps une certaine culture du secret, basée sur le postulat que si on veut vendre du rêve, il ne faut rien révéler. Or, je pense au contraire que permettre de propager une culture olfactive auprès du grand public, de façon pédagogique et didactique, revalorise le parfum et permet à un plus grand nombre de personnes de se l’approprier comme un objet culturel, et non pas un simple produit d’hygiène ou cosmétique, superflu et secondaire. C’est précisément la démarche de Nez, la revue olfactive et des livres qui seront publiés dans la même continuité.


Pour vous, quelle est la place du parfum en France en 2017 ? Est-il à sa juste place ? S'est-il vulgarisé (dans le bon sens du terme) ?
Le parfum est en pleine mutation dans le monde. Les ventes de la parfumerie sélective (en chaînes de parfumeries) sont en baisse. A vrai dire, les ventes de parfum dans le monde ont une croissance proche de zéro, les gens se parfument moins, mais les prix augmentent pour rééquilibrer. En même temps, la parfumerie de niche progresserait de plus de près de 30%, même s’il est difficile d’avoir des chiffres précis, étant donné la disparité de l’offre.

Le modèle du “parfum aspirationnel” avec une égérie qui absorbe la plus grand part du budget, et un parfum indiscernable d’un autre, atteint ses limites. Tout finit par se ressembler et être tiré vers le bas, alors que le public est clairement en attente d’autre chose, de sens, de sincérité, de qualité et trouver des parfums qui lui ressemblent.

C’est pour cela que les gens recherchent des “vraies” infos sur internet, sur des sites comme Auparfum, afin d’avoir des avis objectifs, se faire guider, partager avec d’autres personnes ses ressentis, poser des questions. Quand on a envie d’aller au cinéma, on va sur Allociné, on ne va pas sur le site du producteur !

Donc oui, d’une certaine manière, le parfum dans sa diversité est devenu plus accessible depuis internet et les blogs, mais il y  a un décalage avec la manière dont la presse le traite, toujours comme un produit de beauté, à côté de crèmes anti-rides et des rouges à lèvres. Alors que pour moi, c’est un produit culturel, au même titre qu’un film, qu’un livre ou qu’un titre de musique.



Pour aller plus loin : 
La question du parfum, vue sur Les Echos


Les Cent onze parfums qu'il faut sentir avant de mourir, aux Editions Contrepoint, par Yohan Cervi, Jeanne Doré et Alexis Toublanc, 255 pages, 16 €.

stelda

4 commentaires:

  1. Cela peut être très intéressant comme livre.
    Dans son interviewe, lorsqu'elle dit que les gens ne se parfume plus, j'ai plein d'ami(e)s qui se sont tournés vers les parfums bio.
    Personnellement, je ne me parfume pas sur la peau mais les vêtements, j'utilise toujours du parfum.

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    1. Les parfums bio ont des odeurs délicieuses mais un gros défaut : ils tiennent très peu.

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  2. Je retombe sur cet article
    J'ai mis beaucoup de différents parfums mais j'ai eu dans ma vie, trois gros coup de foudre et cela dès leur lancement. Et bizarrement ce sont des parfums qui ont été ou adorés ou complètement détestés.
    Opium, Poison (le premier évidemment) et Angel.
    Oui j'aime surtout les parfums forts, oriental souvent et les parfums d'homme aussi (l'A Men par exemple)...

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