Washing en pub : l'overdose


LinkedIn a fait une campagne comique contre l'uniformisation des CV et la surconsommation des mots à la mode (ou buzzwords). Mais ces fameux mots à la mode ne sévissent pas seulement dans les couloirs de Pôle Emploi ou les cabinets de recrutement : on les retrouve aussi dans les journaux et le marketing, autant dire un peu partout. Chaque secteur a son lexique mais c'est dans la communication B to C, c'est-à-dire des entreprises vers les consommateurs, qu'il est le plus visible. Je ne sais pas si c'est mon esprit naturellement porté au sarcasme, le fait de travailler dans l'information et la communication ou l'overdose de publicités tout azimut, dans la rue, dans les magazines, à la radio, sur Instagram (et jusque dans les dessins animés) qui me blase mais le marketing a de plus en plus de mal à me convaincre quand il vante des valeurs. Je ne suis pas la seule : même Lutin n°1 et Lutin n° 3 détectent illico l'appât au bout de la ficelle. Soit je leur ai implanté un radar, soit la pub est vraiment en train de  se noyer. Comme je n'ai pas fabriqué des enfants bioniques, je penche pour la deuxième option.

Du statut de pigeon à celui de paranoïaque, on n'a fait qu'un pas mais on l'a fait des deux pieds et ce n'est pas à nous que ça profite le plus. Tee-shirt, livres, films, restaurants, snacks, bijoux, rouge à lèvres, escarpins, chocolats, appli, tout est washé. Même les programmes politiques. Tout est éthique, éco-responsable, LGBT-friendly, handi-copain, love-diversité, #madeinFrance, recyclable, électrico-économe, vegan, no gluten, #nocruelty, on nous vend du rêve en utilisant nos peurs : peur de la haine, peur de l'avenir, peur de mourir sous nos déchets, peur de manquer, peur d'être exclu, peur de souffrir, peur de mourir. Et pour qu'on n'ait pas trop le temps de réfléchir, des fois qu'on prendrait du recul et qu'on n'achèterait pas ces merveilles qui effaceront tous les problèmes du monde, on nous le comprime en vidéos de 0,55 minutes, en 140 signes, en article à partager en un clic mais dont on lit juste le titre. Et on nous fait ingurgiter acheter tout et n'importe quoi.


Pendant des années, sur la bonne foi de photos colorées et rieuses, on a acheté des tombereaux de Tampax aux pesticides, de jambon saturé de gluten, de tee-shirts jetables et de carottes lavées à la soude. Et puis un jour, aux aurores des années 2000, voilà qu'on découvre que la pub est là pour vendre et qu'elle n'a pas trop d'états d'âme. Et là, paf, tout d'un coup, on ausculte chaque produit au microscope en poussant notre caddy (au lieu d'aller direct chez le producteur, putain! C'est mal, moche, paf, 10 points en moins sur l'échelle du citoyen du monde). Alors demi-tour toute, on exige des entreprises qu'elles montrent patte blanche et on se rassure... en épluchant leurs onglets coquets :  Engagement, Notre projet, Nos valeurs ou Notre philosophie. En même temps, j'en connais peu qui nous expliqueraient, les yeux dans les yeux, que leurs bénéfices sont tirés de l'esclavage des enfants indiens, qu'ils remisent les femmes enceintes dans des placards, dépouillent les bébé phoques ou répandent du mercure dans nos casseroles. Y a guère qu'Abercrombie qui a osé faire le coup en assenant qu'il vendrait jamais rien aux gros avec le résultat qu'on connaît : les gros se sont rebiffés et Abercrombie est en train de plus vendre grand-chose à personne (paf, sur le nez). 

Aujourd'hui donc, tout est suspect, tout le temps, partout et on exige des fabricants et des entreprises (et même des films, des livres, de tout, en fait) des gages de propreté. Comme ils veulent continuer à vendre, ben ils nous en donnent. Par poignées, à coups de buzzwords : participatif, pluriel, disruptif, social, inspiré, respectueux, authentique, ... répétés jusqu'à l'obsession. Le hic, c'est qu'on oublie encore une fois la malice de la pub et on replonge les yeux fermés, mais cette fois, dans le washing à 360°C, comme on a plongé dans les carottes épluchées à la soude. Sans plus se poser de questions sur la faisabilité des fameuses promesses de la marque, le fond de ses valeurs, toussa.
Ceci est une gomme en caoutchouc naturel

Le cerveau bien essoré, on culpabilise dès qu'on achète une gomme qui n'a pas tous les labels qui vont bien pour vite, vite, acheter celle qui les affiche. Par exemple, la gomme ci-dessus est en caoutchouc naturel et sa voisine, elle aussi en caoutchouc naturel, est présentée "sans PVC, écologique et hypoallergénique". Véridique. Ca m'a déjà collé la pression pour la rentrée prochaine. Du coup, je suis allée zieuter si Bic, avec ses trucs jetables en plastique, est bien engagé dans une démarche éco-responsable. Bingo. L'onglet est même placé en plein milieu de la page. 


Me voilà noyée dans un doute affreux : outre les gommes, pourrais-je continuer à acheter des stylos à bille Bic ? Et si non, les cartouches d'encre Waterman sont-elles durables ? Je vais vérifier. Et si non, l'encre pour le stylo à pompe de mon grand-père sera-t-elle non-toxique ?? En attendant, me voilà  soupçonnant Bic de greenwashing sévère, juste parce que c'est un vendeur de trucs jetables. Alors que non, peut-être pas, car vendre honnêtement est toujours possible. Comme le rappelle Yonnel Poivre-Le Lohé, la communication responsable existe. Elle n’a rien à voir avec l'utilisation en flux continus de buzzwords, ni avec l'étalage de normes, labels ou engagements. La communication responsable, en gros, c’est la pub honnête  : je fais un produit qui peut t’être utile, te faire gagner du temps, économiser de l’argent ou juste te faire rire. Et je le fais bien, preuves à l'appui. A nous de voir ensuite si on a vraiment besoin de ce produit, c'est là que nous pouvons exercer une bonne partie de notre responsabilité.
Si le greenwashing vous intéresse, son blog est un trésor d'informations : il y décortique le pire et le meilleur des campagnes des grands groupes.

PS : mince, je deviens décroissante! Est-ce compatible avec le statut de modasse ??

Pour aller plus loin
L'article de So, du blog (dé)maquillages, sur le washing des marques cosmétiques (sans doute l'un des secteurs, avec l'alimentation, où il est le plus important)

Pour sortir de la paranoïa et se réconcilier avec la communication :
De la publicité à la communication responsable, d'Yonnel Poivre-Le Lohé, éd. Charles Léopold Mayer, 19 €.



Pour sortir de la culpabilisation en apportant sa petite goutte d'eau et former un océan :
Vers une consommation heureuse, d'Elisabeth Laville, Allary Editions, 18,90 €

stelda

2 commentaires:

  1. ça participe d'une montée en gamme mais on le paie cher: ça nous colle une pression de dingue ! Ce qui est marketé bio n'est peut-être pas équitable, ce qui est vegan peut être bourré d'additifs, le poisson "riche en oméga 3" a été pêché en eaux profondes...
    Peut-être que la législation n'est plus suffisante ? Nous devenons de plus en plus exigeants, mais les labels et la législation ne suivent pas. Quand je vois la bataille qu'il a fallu mener pour l'interdiction de la pêche en eaux profondes, je me dis que l'interdiction des perturbateurs endocriniens ou les PEG c'est pas gagné...
    Idem quand je fais du shopping online, je m'étonne toujours de ne pas avoir d'info sur le pays de fabrication: c'est écrit sur l'étiquette, mais jamais sur les sites. Zéro onglet "made in France" sur les sites de shopping mainstream.
    Si la législation offrait plus de garanties, ça calmerait sans doute l'inflation en washing et on serait peut-être moins anxieux à l'idée d'acheter un truc..!?

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    1. Exactement. Même si en effet les règlementations sont très frileuses sur bien des domaines, je pense qu'il ne faut pas tout attendre de la législation non plus et nous avons le devoir de faire appel à notre bon sens : ma mère n'aurait jamais acheté de courgettes en plein hiver, par exemple :). Malheureusement, nous avons accès à tellement d'offres aujourd'hui que nous perdons souvent la tête.
      La Redoute et La Halle ont des onglets made in France, idem pour Spartoo qui indique le pays de fabrication des pièces.

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