Mais pourquoi Trump ?


La question tourne en boucle depuis mercredi matin sur nos écrans, dans les kiosques, à la radio. Comment les Américains ont-ils pu élire ce clown ? D'abord, permettez-moi de souligner que c'est une excellente nouvelle pour l'industrie du cosmétique : elle va pouvoir écouler des brouettes de fonds de teint orange et d'anti-cernes neigeux. Bonne nouvelle également pour les coiffeurs du dimanche et les marchands de laque, comme le soulignait ma copine Pauline.

Cette élection a donc fait exploser les codes du maquillage. Mais pas que. L'échec d'Hillary, c'est aussi l'échec de la compol' à tous les étages : look, langage, tactique. "Comment n'a-t-on pas envisagé son élection ?" me demandait une twitto. Parce qu'on ne sait pas se mettre à la place de l'autre, parce que les médias prennent rarement le temps de se plonger dans l'Histoire, parce qu'on ne veut souvent voir que ce qu'on veut bien. Voilà ma première réponse. Je ne suis pas géopoliticienne, anthropologue, politologue ni sociologue, j'avoue avoir suivi la campagne d'assez loin et n'en avoir entendu que l'écume médiatique, parce que, primo, je pense que j'ai du mal à percevoir ce qui se passe à 1000 bornes dans un pays que je connais seulement par film/série/médias interposés, deuxio, je réservais mes faibles forces pour notre propre élection, partant du principe que charité bien ordonnée commence par soi-même et que c'était déjà assez gadouilleux à la maison sans aller prendre un bain de plus chez le voisin. 

Mais bon, mercredi matin, comme par magie, je me suis réveillée à 5 h 00 tapantes, fraîche comme un gardon. Un exploit pour ceux qui me connaissent, car je programme TOUJOURS 2 réveils-matin pour être sûre de me lever. Un signe que ça me travaillait quand même cette élection. A 5 h 00 donc, je bondis sur mon fil twitter. Trump. Trump, Trump, Trump. Ok. Je me suis dit qu'il était temps de s'intéresser un peu à la chose et j'ai acheté illico un petit livre de 120 pages, Qui est Vraiment Donal Trump ? publié il y a un mois ou deux par une journaliste du Figaro. Histoire de comprendre, de dépasser nos idées toutes faites (justifiées ou non, ce n'est pas le sujet ici) . Je l'ai lu dans la journée et il montre tout ce qu'on n'a pas vu.

Laure Mandeville a vécu plusieurs années aux Etats-Unis et suivi la campagne de Trump pendant 15 mois. Et elle a essayé de savoir qui se cachait vraiment derrière l'homme à la houpette orange. Elle a donc interrogé des politologues, des conseillers républicains ou démocrates, des électeurs de Trump et même son nègre, l'homme qui a écrit son fameux best-seller The Art of the Deal. Elle a aussi remonté le fil de Trump avant 2013. 

Et c'est le premier point d'explication intéressant. Pour nous, Trump est un clown surgi de nulle part mais 30 millions d'Américains ont suivi pendant des années son émission de téléralité,  une tour porte son nom à New-York. Il est donc une figure très connue, admirée même : à la fin des années 80, il était l'homme le plus admiré de ses compatriotes, juste derrière les 4 anciens présidents encore en vie, le pape Jean-Paul II et Lech Walesa (deux champions de l'anti-communisme). Ca pose le cadre. Déjà, là, c'est hors de notre système de pensée française : notre top est composé de Goldman, Cousteau, Soeur Emmanuelle et Zizou. 

Trump arrive donc avec un sacré capital : son émission et son nom, qu'il polit depuis bien longtemps, n'hésitant pas à taire ses échecs ou à les retourner à son avantage. La communication, il l'a apprise d'abord sur les chantiers de construction, avec les ouvriers, puis sur les plateaux de téléréalité. Il utilisera donc Twitter de façon très intelligente, pour tester l'opinion, voir où ça pique, rebondir, rectifier. "Les exagérations, les attaques, tout est calculé, c'est une méthode de combat" affirme une éditorialiste américaine. Tous ces dérapages portaient d'ailleurs sur des sujets tabous, sur lesquels une partie de la population se sent empêcher de débattre sereinement. Il n'a pas besoin d'acheter des tonnes de pub dans les journaux comme sa rivale, il sait que l'opinion des électeurs se forge ailleurs : au bistrot, au boulot, sur les réseaux. Trump ne croit pas aux marketeux, ni aux communicants. Il croit aux rapports de force. Et au pays de Clint Eastwood, c'est un autre sacré capital. Il a appris à négocier avec la mafia, les lobbies et les politiciens corrompus sur ses gros projets, ce qui, explique-t-il, l'a décidé à auto-financer sa campagne. Et cette indépendance plaît aux électeurs, surtout face à une Hillary sous perfusion (et qui dépensera deux fois plus que lui). Surtout, elle lui permet de dire tout ce qui lui passe par la tête sans craindre de chiffonner un financier et de se faire couper les vivres.

Ce politiquement incorrect, ce langage cash trouve un écho, car les Américains ont déjà élu des candidats anti-système. Ce fut le cas de Reagan, considéré comme un simplet voire un bouffon par les politiciens de l'époque et, plus loin encore, en 1829, le général Andrew Jackson, 7e président, en guerre contre la corruption des élites. On voit Trump comme un membre de cette élite mais c'est différent aux yeux de ses électeurs : il est milliardaire et vit au sommet d'une tour mais il n'y est pas né, il l'a construite. S'il a hérité "d'un million ou deux", comme il le dit, il a gagné  ses milliards. Il a grandi dans le Queens, un quartier multiculturel de New-York. Là encore, tout ça nous semble très fumeux car pour nous, riche = élite. C'est en lisant un roman de chick lit, Chic et Choc à New York, (on peut s'instruire partout, na!) que j'ai compris les strates de l'aristocratie new-yorkaise. Il y a milliardaires... et milliardaires : les vieilles familles WASP (descendantes des Pères fondateurs, par exemple) et les parvenus (comme Trump, petit-fils d'immigré allemand), les premiers méprisant ouvertement les seconds et leur barrant souvent la route. De sa tour kitchissime, Donald domine d'ailleurs le magasin Tiffany, un certain emblème du chic new-yorkais BCBG. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Trump est bien une poursuite de la révolte du peuple contre les élites, entamée... en élisant Obama. Car l'auteur (qui s'appuie toujours sur les opinions recueillies à droite et à gauche) souligne que tous les deux ont été élus sur leur charisme, leur personnalité et leur rejet de cet establishment. 


Enfin, "contrairement à Obama, Trump vend du réalisme, pas du rêve". Le Yes we can avait enflammé l'Amérique et le monde mais 8 ans plus tard, les choses ne semblent pas s'être arrangées. Les Américains ont soupé du rêve et sont fatigués de compter les cercueils qui rentrent d'Irak ou d'Afghanistan et même si Obama ne peut être tenu pour responsable de toute la misère de son pays, les électeurs font comprendre que les paillettes, ça va bien, la classitude, c'est chouette mais ça ne met pas de hamburgers dans l'assiette. Trump est d'ailleurs le seul Républicain à oser critiquer l'intervention de Bush en Irak. "Les Américains sont fascinés par Trump parce qu'il leur vend à la fois un rêve de succès et un principe de réalité", explique un politologue américain. On en revient ici à cette fameuse émission de téléréalité, dans laquelle Trump démontre qu'il y a les perdants et les gagnants.  Et que la première option ne fait pas partie de son disque dur.

Un électeur d'origine franco-espagnole justifie ainsi son vote : "Trump fera ce qu'il a dit, il l'a montré avec ses buildings, il a créé quelque chose". Trump est donc élu "presque comme une potion magique destinée à guérir tous les mots de l'Amérique" résume Laure Mandeville, c'est "la rencontre d'un homme et d'une révolte." S'il reste à vérifier qu'il est le bon homme, il a su se présenter au bon moment. Et avant, c'était trop tôt. En 1988 déjà, Trump a pensé se présenter aux élections présidentielles. Il a d'abord été démocrate et dans le camp républicain, il est détesté des conservateurs, des néoconservateurs et des reaganiens. Une fois la barre de l'investiture franchie, il n'hésite pourtant pas à aller les voir. Des manières qui rassurent certains sur son réalisme, tout comme le choix de son vice-président, Mike Pence, un vieux briscard de la politique. Une versalité, ou des incohérences qui démontrent son opportunisme pour d'autres.

Toutes ces raisons, les médias français les ont oubliées. 94% des médias américains aussi. 

Laure Mandeville avoue n'avoir pas réussi à percer le mystère Trump. Le milliardaire apparaît comme un politicien extraordinaire, instinctif, comme un homme sans peurs mais aussi sans limites, séduisant mais inquiétant, ni noir ni blanc. Ce n'est ni un monstre ni un chevalier. Et personne n'a pu répondre à la question qui hante tout Washington (le monde) : le Trump rationnel sera-t-il capable de contrôler durablement un ego démesuré et un caractère explosif ?

En tant que fashionista, je suis la première à déplorer le départ du couple Obama : qui d'autre s'habille aussi bien, a autant d'humour, semble aussi classe, parait toujours aussi parfait quels que soient le lieux ou les circonstances, tout en semblant normal ? Personne. Qui d'autre porte aussi bien les chemises qu'Obama, les robes de créateur que Michelle ? Qui d'autre semble né pour le smoking, la robe de bal, encore amoureux et plein d'humour ?... 

Mais l'élection de Trump doit justement nous apprendre à regarder au-delà des serpentins, des sourires et de la communication. Elle nous rappelle également qu'un homme politique est jugé sur ses actes, même s'il a été élu grâce à ses ses mots. Qu'enfin, dans un pays démocratique, une élection se joue encore et toujours dans les bureaux de vote et non les bureaux de sondage, ce qui me semble tout de même une excellente nouvelle : notre voix a du poids. Et les élections ne sont pas truquées. Un rayon de lumière, comme ce magnifique tableau de Cécile 


Pour aller plus loin : Qui est vraiment Donald Trump ? Laure Mandeville, 120 pages, 14 €

Ce qu'en disent a posteriori les prévisionnistes américains (sur Slate)

L'interview de Laure Mandeville (sur Le Figaro)

stelda

8 commentaires:

  1. Merci Stelda. Merci Laure Mandeville.

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  2. Quelle belle analyse et qu'elle belle dernière phrase, on se console comme on peut ...
    La France n'est pas l'Amérique mais on ne peut s'empêcher de penser aux élections françaises, et l'ambiance n'est pas tellement paisibles.
    Peut-être MrsClinton n'était pas la candidate idéale, elle fait partie de l'establishment, beaucoup la jugent "corrupted", et elle n'avait pas le contacte populaire. Mais de là à choisir un homme dont le discours était composé de vulgarité, de paroles haineuses et agressives ! Et son attitude envers les femmes ... On pensait que son électorat était surtout masculin, le cowboy attaché à son flingue ? Non, beaucoup de femmes ont voté pour lui et cela nous laisse perplexes !
    Les médias ont aussi une grande responsabilité : ce clown assurait une grande écoute, le show parfait !
    Finalement, c'est l'histoire de l'arroseur arrosé !

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    1. Les choix électoraux sont toujours bien plus complexes qu'on ne le croit de l'extérieur et c'est pour cela que j'ai trouvé le livre de Laure Mandeville intéressant.

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  3. Merci Stelda pour ces mots pleins de bon sens <3

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    1. Merci à toi pour ce tableau sublime, et ton texte : je ne pouvais pas trouver mieux!!

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