Plagier n'est pas jouer



Ce tweet a attiré mon attention. Plagiat, inspiration... les deux vocables se bousculent souvent dans la mode. Il y a deux écoles. L'une estime que le designer crée, puisque ce vêtement ou cet accessoire n'existait pas avant qu'il ne l'imagine. D'autres stylistes, Karl Lagerfeld en tête, refusent l'adjectif "créateur", estimant qu'ils ne créent pas mais interprètent, remettent en perspective, bref, bidouillent, mais partent toujours de quelque chose d'existant. Ainsi, Yves Saint-Laurent s'est fortement inspiré de la veste militaire pour imaginer sa saharienne mais il s'agit plus d'un détournement que d'un plagiat. Je suis clairement partisane de cette chapelle-là.

Alors les limites entre plagiat et inspiration me semblent très claires. Et quand Bienik accuse Jacquemus de plagiat, je n'y vois pas autre chose. 


Gaultier me semble plus proche de l'inspiration :  il n'a pas copié le trait de Bieniek mais a repris l'idée et s'est inspiré de la pose. Tout comme il s'était inspiré du parfum de Schiaparelli pour son célèbre flacon buste. 

A gauche, création d'Elsa Schiaparelli - A droite, le Classique de Gaultier

Elsa elle-même n'est pas réellement créatrice, puisqu'elle s'est inspirée des formes d'un mannequin pour imaginer son flacon. Ce qui plaide en faveur de ma chapelle. Mais revenons à Jacquemus et Bieniek. Selon l'artiste En mars 2015, [Jacquemus] m’a proposé une ‘vraie collaboration’. Il m’a écrit en me disant qu’il était un grand fan de mon travail, depuis des années, relate l’artiste. Il m’a montré les dessins ‘secrets’ de sa nouvelle collection, et j’ai tout de suite vu que l’intégralité de cette collection était basée sur ma série ‘Fascination’. Mais Jacquemus convoitait aussi mes travaux ‘Painted Faces’ (DoublefacedSecondfacedMe & My Friends). Il m’a dit qu’il était très, très, très pauvre et n’avait pas d’argent, mais qu’il aimait tellement mon travail… blabla…” Bref, bonne pâte, il aurait cédé. Et c'est le drame. "Quelques heures [après le défilé], mon travail ‘Doublefaced’ était publié dans la presse du monde entier, poursuit-il. Tout le monde l’a vu, tout le monde a écrit dessus, tout le monde en a parlé, mais personne n’a mentionné l’artiste original : Sebastian Bieniek ! Juste Jacquemus. […] Quelques heures plus tard, le très, très, très pauvre Jacquemus a été récompensé des mains de Karl Lagerfeld du prix LVMH d’une valeur de 150 000 euros, pour sa superbe collection (faussement) originale. Pensez-vous que j’ai récolté ne serait-ce qu’un centime ?” s'étrangle le dessinateur. Surtout, le couturier ne l'aurait pas nommé une seule fois dans ses "inspirations". Et c'est ce qui reste le plus en travers de la gorge de Bieniek.

Face à ces accusations, Jacquemus lui a renvoyé dans les dents une photo de Bill Silano publiée dans un Vogue de 1967 et présentant un mannequin au visage maquillé à la manière de Bieniek. Preuve que ce dernier n'aurait donc lui-même rien inventé, ce qui n'est pas faux (cf ma théorie développée ci-dessus et la preuve que Lagerfeld a raison, comme bien souvent).

Bien que fortement inspirée (par Lacroix entre autres), la dernière collection de Jacquemus m'avait semblée très intéressante, plus équilibrée et témoignant d'un talent prometteur. J'avais même prévu de lui écrire une lettre d'amour à 4 mains avec ma copine Laetitia, projet repoussé à cause de ma grippe.

Je reconnais beaucoup de compétences à Jacquemus : celles d'avoir su se créer un nom, raconter une histoire, imaginer une identité numérique cohérente (Dieu sait si c'est rare, même chez les grands groupes), travailler avec des usines française, et, surtout, combler un vrai manque des fans de mode aujourd'hui en leur proposant une mode légère et gaie. Et bien sûr, je lui laisse le bénéfice du doute dans cette affaire, même si, plagiat de Bieniek ou de Bill Silano, ce n'est pas la première fois que Jacquemus pille allègrement d'autres artistes, l'une de ses collections était tellement "inspirée" de Margiela que ç'en était gênant. Mais cette histoire a le mérite de poser à nouveau la question : où sont, aujourd'hui, les vrais designers de mode ? 

L’affaire racontée sur le site Kombini

Merci à Louvre pour Tous grâce à qui j'ai vu passer cette info

stelda

12 commentaires:

  1. En effet c'est pas simple. Lagerfeld a en effet raisin sur le processus de création.

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    1. Oui, je crois que ceux qui imaginent quelque chose de vraiment novateur sont extrêmement rares (comme le travail du biais, par exemple, l'ourlet à cru, etc).

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  2. Entièrement d'accord avec ton analyse. JPG s'est inspiré comme tout dans ce monde, on se sert tous d'inspirations pour créer de la nouveauté, c'est l'essence même de la création je pense. On voit des choses, on pense à des trucs, on parle avec des gens, tout est source d'inspiration c'est normal. Par contre, Jacquemus c'est du pur copié collé.
    On voit le cas de plus en plus, avec les pins notamment qui reviennent à la mode et que Zara (pour ne pas le citer) ne se gène pas de recopier à 100%. Et le bisou de je ne sais plus quelle créatrice (désolée :) est reproduit exactement de la même façon par IKKS. C'est pathétique de faire ça, ça finit toujours pas se savoir en plus je ne comprends même pas l'intérêt. Bref bouh le plagiat ^^

    Bisou!

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    1. Et ça n'enlève rien aux qualités d'un artiste ou d'un styliste, car tout le monde n'est pas capable d'imaginer un meuble comme Prouvé ou une robe comme Lacroix :)

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  3. Ce qui me fait sourire là-dedans, c'est que même si Jacquemus n'a pas "pompé" le travail de Bieniek comme il le dit, c'est celui de Bill Silano du Harpers Bazaar dans ce cas qu'il a repris littéralement. Dans tous les cas, c'est du copié-collé du travail de quelqu'un d'autre, point barre !
    Et c'est vrai qu'il y a eu des collections chez lui très très "Margiela"... Mais pas que.

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  4. Réflexion vraiment intéressante et qui peut aussi s'appliquer à la littérature. La frontière entre plagiat et intertextualité est très mince.

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    1. En littérature, la frontière me semble encore plus floue.

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  5. Bonjour Stelda,
    DAvid Bailey et le portrait de Jean Shrimpton https://www.instagram.com/p/BNNOiy6Brnp/?tagged=davidbailey
    Picasso et les portraits de Dora Maar.
    Je crois, et je suis même sûre que ce Bienek n'est pas tout à fait honnête.
    A plus, j'adore vous lire.

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    1. Merci pour votre adorable commentaire, chère Anonyme <3.
      rooooh lala, si les plagiés sont eux-même des plagieurs, comment allons-nous nous y retrouver ???

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  6. Bonjour Stelda, comme souvent ceux qui n'ont pas tout à fait la conscience tranquille sont ceux qui gueulent le plus fort ;-))
    Et se posent en victime.
    Nous sommes tous plagieurs et plagiés, copieurs et copiés! Et inspirateurs et inspirés. Je pense que l'humilité est la première des qualités d'un artiste ou d'un créateur. À moins d'avoir peint la grotte de Lascaux, et encore!
    Nous vivons dans un monde d'inflation intellectuelle, où l'on crie au génie pour des choses qui sont parfois seulement du niveau de l'école maternelle.
    Joyeux Noël !
    Laure

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    1. Bonjour Laure, j'adore votre phrase : "un monde d'inflation intellectuelle, où l'on crie au génie pour des choses qui sont parfois seulement du niveau de l'école maternelle." C'est si vrai... Vrai aussi qu'un grand artiste doit aussi être humble (et c'est encore plus rare que le talent...)
      Joyeux Noël à vous :)

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