56 kilos, c'est trop


Elle pesait 56 kilos pour 1 m 78 et c'était trop. Trop pour rentrer dans les vêtements taille 32 imposés par les couturiers à la fashion week de Paris ou de New York. A 17 ans, Victoire Maçon Dauxerre avait une mentalité de battante et de bonne élève. L'échec, c'était pas son truc. L'agence Elite lui explique qu'il faut rentrer dans du 32 d'ici 2 mois ? Pas de soucis, elle se met au régime exclusif pommes-sodas pendant plusieurs semaines. Puis plusieurs mois. Car une fois les kilos perdus et les castings décrochés, il est impossible de reprendre un gramme. Elle était condamnée à s'affamer ad vitam aeternam. Jusqu'au jour où, face à une tranche de jambon, elle fait une crise de boulimie, puis une tentative de suicide.

Le témoignage de Victoire n'est pas amer, il est clair. Elle raconte aussi les moments drôles, quand son agent la relooke en deux coups de cuillères avec une veste militaire et une paire de bottines de couturier (avec cette phrase géniale "Un truc vintage, un truc de luxe, c'est ça l'équilibre magique de la mode, bébé!") les paillettes dans les yeux en défilant, la joie de recevoir un sac offert par Vanessa Bruno, la fierté d'être repérée par Phoebe Philo. C'est le vote de la loi contre l'ultra-maigreur des mannequins qui l'a poussée à  raconter son quotidien de top model éphémère.

Je pensais avoir fait le tour de la question mais le témoignage de Victoire a été une vraie plongée dans un monde infernal. Après avoir fini le livre, j'ai été mal pendant 3 jours : envie de pleurer, mal au coeur, mal au ventre. Elle raconte la gentillesse des agents et leur hypocrisie, les nuits de solitude à paniquer, la concurrence, les courses à pieds dans les rues de New York pour enfiler les castings, le mépris de certains couturiers, la gentillesse de quelques uns, les chaussures de défilé trop petites de deux tailles, les photographes stars, la fierté devant chaque kilos perdu, chaque casting gagné, l'anorexie qui grignote toute lucidité. C'était en 2010. Depuis, Victoire a changé de voie, repris des études, trouvé un job, un amoureux.

Dans ce témoignage, elle ne raconte rien de nouveau mais elle nous fait entrer dans sa tête et on l'accompagne durant les 8 mois de sa carrière. Et on se dit que si elle, déjà âgée de 17 ans, instruite, bien entourée par sa famille, et qui ne rêvait pas d'être mannequin a pu se laisser happer par la machine jusqu'à frôler la mort (47 kg pour 1 m 78), il est quasi impossible à une jeune fille de parfois 14 ans, seule, parlant à peine anglais ou français, désirant trouver un travail et être reconnue de résister à ces normes infernales. Elles y perdent leurs cheveux, leurs dents, leur peau. Dans tous les sens du terme. 

"On me voulait, certes, mais maigre. J'étais belle parce que j'étais maigre. C'était ma seule valeur. Mais plus je maigrissais, plus je me sentais grosse. L'anorexie est un cercle vicieux. L'ironie est que l'on me demandait de maigrir alors que mes photos étaient la plupart du temps retouchées. On me rajoutait des cuisses, des joues..." Victoire

Mais à quoi ça sert que Victoire, après d'autres, ait le courage de montrer la monstruosité du système si personne n'a le courage de le changer ?


Pour aller plus loin :

Interview de Victoire dans Kernews
 
Interview de Victoire dans ELLE

Jamais assez maigre, Journal d'un top model, de Victoire Maçon Dauxerre, Ed. Les Arènes, 268 p., 18 €.

stelda

10 commentaires:

  1. Comme tu le dis, on connaît ces règles mais ça fait froid dans le dos quand elles sont racontées par une jeune femme qui les a subies. C'est tellement triste tout ça. J'aime tellement la haute couture. Je trouve que c'est un art merveilleux, mais gâch par des dictats dépassés.

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    1. Des diktats sortis de la tête de 10 personnes et qui réussissent à modeler la vie de millions d''autres.

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  2. en plus, le public ne VEUT PAS ça, justement. C'est d'autant plus incompréhensible, ces diktats...

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    1. Oui et c'est étonnant comme la mode qui peut être en iconoclaste peut aussi être furieusement rétive au changement.

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  3. Comme vous dites, encore un témoignage... et pourtant, on ne le dit jamais assez. Il suffit de regarder les photos et on voit que rien n'a changé, les corps sont toujours aussi maigres et les mannequins paraissent toujours aussi tristes. La Haute-Couture devrait nous faire rêver, mais c'est une ambiance de fin de monde. Peut-être cela reflète une ambiance de morosité ? Alors un maquillage suffirait pour donner aux mannequins l'air malade. Utiliser ces filles qui sont très jeunes, est criminel !

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    1. Ces mannequins maigres, pâles et tristes... quel ennui! Oui, c'est une sorte d'esclavage moderne. Incompréhensible qu'on laisse faire cette maltraitance, au nom "du luxe et du rêve".

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  4. Je n'ai pas encore lu son livre (c'est en projet). C'est vrai que ce sujet ne date pas d'hier, mais je n'arrive toujours pas à m'y faire et chaque témoignage a la capacité de me faire froid dans le dos. Si autant de jeunes (et moins jeunes) femmes et hommes en souffrent encore, c'est qu'on n'abordera jamais assez le sujet de l'anorexie/boulimie...

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    1. Un achat que je n'ai pas regretté, vraiment. Victoire réussit à créer un lien avec le lecteur. elle ne nie pas ses responsabilité et montre parfaitement l'engrenage fou qui détruit ces filles et ces garçons.

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  5. Ayant été anorexie, je ne sais pas si je vais lire ce roman. Je n’oublierai pas cette époque mais envie plutôt de légèreté en ce moment.

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    1. J'avoue que ce n'est pas un livre drôle. C'est aussi pour ça que j'ai trouvé son témoignage courageux : c'est toujours douloureux de revenir à des moments difficiles.

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