Mode et politiques : je t'aime, moi non plus


Encensée ou flinguée, décortiquée sous toutes les coutures, la tenue de nos hommes et femmes politiques est tout sauf anecdotique. Ecrit par deux journalistes, Le Vestiaire des Politiques analyse de façon passionnante le rôle du vêtement dans la vie des politiques français. Leurs errances, leurs méconnaissances du vêtement, dans un pays où la mode reste un sujet important (et emblématique à l'international), est atterrante. Sujet de souffrance intime, de moquerie publique, d'incompréhension, le fashion faut-pas se transforme en faux-pas politique : la Rolex de Sarkozy lui a coûté bien plus cher que le prix d'une montre de luxe, la robe Prada de sa femme a frôle l'incident diplomatique.

Gaëtane Morin et Elizabeth Pineau nous offrent une surprenante galerie de portraits, bien éloignée de nos a priori. On découvre que, derrière les fashion faux pas des ministres et des élus moqués par 66 millions de Français, il y a beaucoup d'ignorances mais aussi des incidents indépendants de leur volonté. Comme ce jour où, à la descente d'un long courrier, personne ne laissa à la malheureuse Annick Girardin le temps de se changer et son image en baskets tourna en boucles sur les réseaux sociaux. Myriam El Khomri, qui n'avait pas de fer à repasser le jour de son arrivée au ministère, dut le salut (et une robe défroissée) à son chef de cabinet. Si Michèle Alliot-Marie s'est imposée sans problèmes à la tête de la Défense, elle le doit en partie à son style classique. D'instinct, elle l'avait adapté à ses interlocuteurs. Hervé Morin, qui n'avait pas compris l'importance de ces codes, semblait au contraire parachuté à côté de ses pompes... jusqu'à ce que sa conseillère le relooke.


Rachida Dati à son arrivée à l'Elysée le 16 avril 2008 - source : Le Point

Sans jugement, avec beaucoup de finesse et de respect, Le Vestiaire des Politiques révèle des personnalités, des histoires d'enfance, des constructions personnelles : dans la passion de la sape affichée par NKM ou Jack Lang, dans le vêtement comme accessoire ultime de réussite, revanche naïve sur la vie et des débuts miséreux (mais qui causera leur perte) pour Rachida Dati et Nicolas Sarkozy. C'est la blessure intime de l'ex Madame de Villepin, affichée sur sa tenue le jour où elle quitte Matignon, celles de Carla Bruni qui abandonne toute tentative de style en 2012.
Et puis, il y a ceux qui souffrent dans des tenues protocolaires à l'opposé de leur personnalité : Roselyne Bachelot, ses robes colorées, son maquillage flashy, enfila ses tailleurs gris de ministre comme on met un corset. Valérie Pécresse, désabusée, a remisé tout ce qui était un poil fantaisiste :

« On est tellement auscultées, disséquées, critiquées, surtout quand on montre nos jambes... », soupire Valérie Pécresse. Et de citer cette remarque de son mentor Franck Borotra, ancien président du conseil général des Yvelines, un jour où il la voit arriver en robe : « J’avais fait le pari que vous aviez une jambe de bois ! » (…) Elle évoque cette semaine où « Le Petit Journal » de Canal + a fait un « skaï-ton », se moquant d’une jolie veste trois quarts en cuir rouge qu’elle avait achetée en Italie avec son mari et qu’elle aimait porter. Elle l’a depuis rangée dans son dressing. « Ensuite, je me suis offert un manteau violet chez Paul & Joe. Il sortait un peu de l’ordinaire. Et là, j’ai entendu : “Pécresse, elle s’habille chez Valérie Damidot !” »
         

Il y a les chics ostentatoires, comme Marisol Touraine, Laurent Fabius, qui en font un poil trop, trop cher, trop recherché, trop luxueux, et les dandys natifs, comme Fillon ou Bernerd Cazeneuve : jamais empruntés, toujours sapés mais naturels, semblant nés dans leur veste en tweed ou en drap de laine, dormir avec une cravate au noeud impeccable, les manches de leurs chemises toujours à la bonne longueur. Les toujours parfaites, comme Christine Lagarde, parce qu'elle connaît tous les codes sociaux du milieu dans lequel elle navigue. Ceux qui ont intégré dès leur naissance en politique le vêtement, comprenant à quel point cette carapace peut leur faire gagner du temps et des points dans les sondages : Anne Hidalgo, Marine le Pen, Bruno Le Maire, sont de ceux-là. Simone Veil se protégera des attaques sur sa féminité et son audace dans des vestes Chanel, strictes et bourgeoises.  
"Quand (Bruno Le Maire) était ministre de l’Agriculture, il a certes refusé d’endosser vestes Barbour et costumes en velours côtelé ainsi que ses conseillers en communication de l’époque le préconisaient, mais depuis sa sortie du gouvernement en 2012, le député de l’Eure tente de se forger une carrure présidentielle. « En politique, l’apparence physique est très importante, reconnaît-il. La silhouette d’Obama a quand même pas mal contribué à son succès. Moi, on me fait souvent des remarques sur mes tenues. Aujourd’hui, je suis allé déjeuner avec un grand publicitaire, il a listé les avantages que j’avais sur mes concurrents : “Le premier, c’est que tu fais président, tu as la stature, la gueule, l’élégance, la voix...” »
Les rétifs absolus aux codes vestimentaires, enfin : Manuel Vals, Stéphane Le Foll, et surtout, François Hollande, qui font le désespoir de leurs communicants mais aussi des tailleurs et des couturiers qui ne comprennent pas que les politiques fassent si peu cas de leur mise. "S'en moquer autant à ce niveau-là de responsabilité, c'est rare et même incompréhensible. C'est fou à quel point François Hollande pourrait gagner du temps en faisant attention à son apparence. Avoir une présentation qui correspond à sa fonction donne un a priori favorable. Sinon, il faut faire preuve de beaucoup plus de persuasion," explique Gilles Attaf, le directeur des costumes Smuggler.

Et les professionnels rappellent avec amertume que la France est le pays de la mode. Si Anne Hidalgo, Fleur Pellerin, Claude Pompidou et Carla Bruni l'ont compris et ne rechigneront pas à jouer les femmes-sandwichs pour les créateurs, du côté des hommes, le message passe rarement. Arnaud Montebourg est une exception qui confirme la règle.

Plusieurs politiques se sont prêtés au jeu, avouant aux deux auteurs leur intérêt ou leur rejet du style. Et les réactions des électeurs qui suivent les longueurs d'ourlet, scrutent la couleur des cravates, veillent à la taille des talons, fascinés, impitoyables. Schizophréniques, aussi, exigeant de leurs représentants vestes et chaussures bien coupées mais brûlant toute idée même de luxe. Pourtant, il n'y a pas de secret : n'importe qui s'habillant en prêt à porter le dira, on trouve bien peu de robe ou de costume parfaitement  taillé sur les portants des grandes chaînes, sauf à prendre le temps d'écumer les boutiques, ce que les politiques ont rarement le loisir de faire.

Bien écrit, alternant témoignages et analyses, Le Vestiaire des Politiques est un livre intelligent et sensible. Il rappelle surtout que, même si certains clament le contraire, la mode reste un marqueur social et le vêtement, un outil. En entrant dans le placard des politiques, il nous révèle beaucoup d'eux. Leurs failles, leur orgueil, leurs peurs, leur humanité. Et aussi notre méchanceté.


Le Vestiaire des Politiques, de Gaetane Morin et Elizabeth Pineau, éditions Robert Laffont, 264 p., 19 €.

stelda

8 commentaires:

  1. Le résumé, que tu fais de ce livre, et les extraits choisis donnent vraiment envie de l'acheter !
    Allez, hop, dans le panier virtuel ! Je sens que je vais me délecter des passages consacrés à Rachida Dati :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le passage sur Dati est assez court mais tu apprends beaucoup sur d'autres, dont on parle moins ;) Et beaucoup sur Hollande et Sarkozy

      Supprimer
  2. Çà y est, tu as réussi à me donner envie d'acheter ce livre ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je l'ai acheté par hasard et n'ai pas regretté mes 19 euros.

      Supprimer
  3. Réponses
    1. Il se lit comme un roman :) je l'ai avalé en 2 jours et je vais sûrement le relire

      Supprimer
  4. On va le lire...C'est vrai, que certaines personnalités politiques pourraient faire quelques petits efforts... (:
    Il faut reconnaitre que pour les femmes c'est difficile, soit elles "en font trop", ou "pas assez".

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, la société est impitoyable et ne leur laisse aucune marge de manoeuvre.

      Supprimer

Des difficultés pour laisser un commentaire ? Passez sous Safari ou Firefox