Qu’est-ce qui peut remplacer la mode ?


... La bouffe. Étonnant mais vrai. Comme la mode, la nourriture est un acte culturel, c'est la dernière chose que l’on abandonne en arrivant dans un nouveau pays. C’est la première que l’on transmet, c’est la seule qui parle aux 5 sens. 

"Mais pourquoi tu nous parles de bouffe ?! Tu es une blogueuse mode, poulette! " Justement. La cuisine, c’est devenu plus drôle à suivre que les collections de prêt-à-porter : les modes défilent  dans nos assiettes à la vitesse d’un mannequin chez Saint Laurent. Ça devient une surprise de chaque jour. On a commencé par le resto conceptuel (les yeux bandés, le bar à eau...), parce qu’offrir une expérience inédite, n’est-ce pas, c’est essentiel, quand bien même le client croit naïvement que manger un bon petit plat est une expérience qui peut se suffire à elle-même. Le bar à eau perdant un peu de sa saveur, on s’est tourné vers les produits rares, aux noms aussi imprononçables qu’inconnus : le kumcat, le chou kale, le teff. Quitte à plomber allègrement le bilan écolo de nos plats sous prétexte de manger sainement. 

Vint ensuite la folie des mets hybrides : le croonut, le donut ice cream, le steak sans viande, le pain sans farine, le gâteau sans œufs. Les meilleures choses ont une fin et, passé l’intérêt pour le contenu de leur assiette, les foodistos se sont intéressés au look, parce qu’on ne le dira jamais trop, le look, c’est essentiel. Oubliez les verrines, la présentation sur une ardoise ou la porcelaine blanche. Cette année, tous à nos bowls ! Vraiment, c'est plus fantaisiste que chez Chanel. J’ai travaillé plusieurs semaines sur un magazine culinaire et j’ai plongé dans un univers fascinant. 

Du coup, je n’ai pas écrit sur le blog pendant un mois. Un peu beaucoup de boulot, et surtout, une grosse fatigue face à l'hystérie du milieu de la mode, de la consommation en général et des injonctions sociétales en particulier. Comme ce lieu doit rester une bulle d'oxygène pour vous autant que pour moi, hors de question de le polluer avec des râleries. Sauf si elles sont un peu sarcastiques. Mais quand je réfléchis vraiment, j’ai du mal à être drôle, je vire plus Dalai Lama ou Finkie qu’Audiard, hélas. Mais je me soigne (avec de la pomme).

Réflexion, donc. Méditation intense face à la food, ses facettes, ses fans. Ses techniques, son économie, ses fantaisies, ses dérives. Comment elle peut aider un pays à conquérir le monde. Comme les fringues. Parce que, comme la mode, la cuisine est un fait social total. Pendant un mois, j'ai arpenté les marchés, les caves et les pâtisseries. J'ai rencontré des passionnés, ce qui n'est pas une surprise, parce qu'il en faut, de la passion, pour soigner ses chèvres 365 jours par ans qu'il pleuve ou qu'il vente, et pour se lever à 3 heures du matin pour confectionner des gâteaux qui ressemblent à des bijoux et qui seront engloutis en deux bouchées. J'ai surtout découvert l'enthousiasme que ce projet soulevait dans mon entourage. La nourriture fascine, parle à tous, homme ou femme, quinqua ou étudiant. La bouffe fédère grave. Ne riez pas : pour moi, élevée dans un état d'esprit quasi luthérien, où tu manges (sainement) pour vivre mais tu ne vis en aucun cas pour manger, ça été une révélation. Je le savais déjà, intellectuellement, je ne vis pas dans une grotte, merci #yummy #pornfood et tout, mais je l'ai touché du doigt. Comme quand tu vois en vrai ta première veste Vuitton : tu comprends la différence avec une veste Zara.



Donc, pendant un mois, pas de défilé, pas de look books, pas de tendances, pas de journée presse. J'étais en régime dissocié fromages / légumes de saison / agneau / poulet-élevé-au-grain / Saint-Honoré. Cette cure que j'ai suivie avec mon enthousiasme habituel (je suis du genre à me passionner pour les roulements à billes quand je visite une usine de patins à roulettes, alors imaginez face à un éclair au chocolat ou un vieux Chinon, 1000 fois plus glamour) m'a poussée à réfléchir à mon rapport à la mode. Est-ce que je l'aimais encore ? Je n'en étais plus très sûre. J'avais appris le départ de Yiqing Yin avec fatalisme, l'hystérie autour de Vêtements et ses magnifiiiiiiques sweats vendus 800 dollars, parce que tu comprends, c'est so conceptuel me fatiguait rendait folle de rage, la nomination de Bouchra Jarrar chez Lanvin me laissait de glace : "Encore une qui va faire 3 collections et se faire virer, hop, hop, hop, parce que le chiffre de la maison n'aura augmenté que de 4% sur ses premières collections". Quant à Dior... qu'ils nomment Jonathan Saunders ou Alber Elbaz comme directeur artistique, qu'est-ce que ça change ? Ils pourraient aussi bien choisir Madonna ou le Pape François. Voire Lisa, la blogueuse de Make My Lemonade. Eux aussi seraient condamnés à faire 3 petits tours et puis s'en vont. J'étais grave désabusée. 

Jusqu'au soir où j'ai dîné avec une parfaite inconnue (hasard des rencontres, copine de copines, toussa). Qui m'a dit : "Oh, tu tiens un blog de mode ? J'y connais rien, ça m'angoisse, la mode. Je ne sais jamais comment m'habiller, rien ne me va." Petite précision : la demoiselle avait 25 ans à tout casser, devait enfiler un 36 les jours de grand vent et ressemblait à une poupée tellement elle était mignonne. Ca m'a fendu le coeur :"Mais pas du tout! La mode est à tout le monde, tu n'as pas à te plier aux diktats. Faut arrêter! Depuis quand c'est l'homme qui doit se plier au produit et plus le produit qui doit servir l'homme ? Faut pas avoir peur de la mode et faut oser dire non aux marques qui nous méprisent, qui nous infligent des coupes dans lesquels on ne rentre pas, des tissus bon à jeter au bout de 3 lavages. C'est nous qui avons le pouvoir, pas eux." Je me suis un peu enflammée, quoi. Et j'ai compris que finalement, j'avais encore envie de parler de la mode. Comme la cuisine, la mode nous concerne tous.

Dédicace spéciale à ma copine la Belette et à Maria


PS : Pour autant, ça ne veut pas dire qu'il faut surintellectualiser la mode. Sinon, c'est lourd comme un tête-à-tête avec Yann Moix.


stelda

11 commentaires:

  1. Ton retour me fait vachement plaisir !!

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    1. Oh, merci beaucoup Gweny <3 Et ça me fait vachement plaisir que tu sois là !!!

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  2. J'aime beaucoup la mode mais je prends du recul. Je conseille à mes clientes de jouer avec, de prendre cela avec légèreté, d'habiter un vêtement, de le faire vivre plutôt que de suivre des lignes qui seront changé dans 3 mois.
    PS : j'ai toujours aimé la cuisine, cuisiné.

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    1. Tes clientes doivent t'adorer. C'est si précieux, une conseillère qui garde du recul...

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  3. Ah contente de te revoir Stelda : honnêtement, j'ai cru que tu laissais un peu de blog car tu avais aussi moins de répondants ... dont moi ! J'avoue que les blogs modes, répondre, écrire des commentaires, ça me fatigue un peu. Mais donc ravie de voir que tu as toujours "la foi", du moins envie d'écrire à ta façon. Attention, commentaire fleuve !
    Et oui, la bouffe, la nourriture, ce qui fait aussi une spécificité française et qui ne doit pas pâtir des "modes" et autres régimes pseudo trop bien qui nous viennent (encore) des tarés outre Atlantique et qui risquent de rendre nos vies et nos assiettes emmerdantes. J'ai entendu que Jeanine Boissard avait pondu un bouquin sur l'histoire d'une tyrannique orthorexique : bon c'est Boissard, un livre "facile" sans doute aussi plein de stéréotype. Mais je pense que c'est aussi le reflet de ce qui nous guette, l'ennui de l'assiette avec les régimes successifs, ce qu'on ne DOIT plus manger sinon on est pas in, on est des pas beaux, on est des inconscients. Seuls ceux s qui sont des paleo, vege, vega, dissociés... et j'en passe sont dans le droit chemin. MERDE alors ! Foutez nous la paix quoi.
    Comme tu le soulignes, la mode est devenue dingue, symptôme de nos sociétés. Et j'avoue que, honnêtement, la mode, je m'en fous, même si j'aime bien m'habiller : par là j'entends que le casual qui sévit depuis des années me déçoit, me déplait et que je me bats contre cette idée que "s’habiller" c'est être mémère ou bien qu'il faut "rockiser" ces vêtements... Résultat, à mon sens, tout le monde s'habille pareil, plus de différences, les blogs mode se ressemblent tous Slim, baskets, blousons, noir, gris .... Bof
    Moi la fille qui, en plein entretien d'embauche pour H&M aies déclaré en toute franchise "oh moi la mode je la regarde mais je ne la suis pas vraiment, pas intéressé". Oui, dixit... No comment. Parfois, il faudrait que j'apprenne à me taire.
    Bref

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  4. La suite ... et ton captcha a des soucis !
    Oui la mode devient dingue, symptôme de nos mal être et de la schizophrénie de nos sociétés. Honnêtement, je m’y intéresse de moins en moins.
    Mais la bouffe, oui, cela reste, non pas central mais du moins important. La nourriture est un formidable vivier de découverte, les champs sont immenses. C’est aussi de l’amour, de l’affection. Pourquoi alors se compliquer vie et en faire une prise de tête, un truc où tout est calculé.
    Pareil pour la mode, pourquoi saboter le tout en voulant effacer nos corps : j’ai vraiment l’impression que, depuis 20 ans au moins, tout est fait pour éviter de mettre le corps en valeur, alors que tout est centré sur le vêtement ou l’accessoire, le corps n’étant plus qu’un porte manteaux. D’ailleurs, n’est pas ainsi que les mannequins sont considérés, des portes manteaux maigrichons qui ne doivent pas sourires ? Belle idée des individus non ?
    Sais tu que j’ai acheté mon premier sweat shirt depuis le milieu des années 80, avec l’intérieur en coton gratté comme il y avait à l’époque. Et oui, j’ai finis pas succomber à cette tendance, en plus il est gris. Mais pas de message et puis il y a un twist. Mais je ne peux toujours pas le porter en dehors de chez moi ou bien les week end, je ne pourrais pas le mettre au bureau, ce n’est pas dans mon envie ni ma façon de m’habiller. Impossible pour moi de passer à la tenue casual sur glorifiée, slim, baskets, blousons, tops carrés au dessus du pantalon.
    Merci en tous les cas de continuer à écrire sur ton blog mode, à ta façon, sans OOTD (outfit of the day ou tenue du jour). Merci de ne pas nous inonder d’instagram : toi au moins tu sais écrire sans faute, tu as du vocabulaire et des neurones qui fonctionnent (rohh la langue de vipère…. Qui moi ? Mais oserais je ? Ne suis pas qu’une vieille couenne, moi qui atteints bientôt le demi ?).
    PS : pourquoi est ce que ton blog note n’apparaît pas en entier sur la version web : sur mon Smartphone, je lis aussi la partie qui concerne l’application de citation.
    PS 2 : peux toujours pas laisser de commentaire avec Firefox… quelle que soit la version

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    1. Non, je n'ai pas fui par manque de répondants :) J'avais juste envie d'une pause. Mais vous me manquiez, vos commentaires, vos blagues, vos jeux de mots...
      Je suis une accro aux mots. Je comprends la légèreté et parfois la beauté d'Instagram mais même si je m'y amuse et suis des copines avec beaucoup de plaisir, ça ne me correspond pas comme moyen d'expression. J'ai besoin de palabrer!
      Ta réponse chez H&M, mon Dieu, que j'ai ri!!! On dirait une réplique du Diable s'habille en Prada!
      L'article de demain (enfin, posté ce soir) va t'intéresser, je pense.

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  5. On commençait à s'inquiéter de votre silence - vos billets pleins de bon sens nous ont manquées !
    Est-ce que la bouffe est en train de devenir aussi obsessionnelle que la mode, pourtant deux choses qui devraient être synonymes de plaisir ?

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    1. Merci pour votre fidélité, chères Matchingpoints. La nourriture est devenue un peu folle, elle aussi et il y aurait autant à dire que sur la mode :)

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  6. Chère Stelda
    Pour moi aussi, un grand plaisir de vous retrouver.
    Depuis plus d'un mois, j'ai fait abstinence d'Internet (moins de blogs, moins de photos, moins de Google - voire plus rien la dernière semaine)et plus de virées magasins ou d'achats. Du coup, j'ai été sidérée du temps dégagé pour d'autres activités!
    Attention, je ne suis quand même pas dans la compulsion en temps normal...
    Mais cette détox mode m'a fait du bien, comme "rincer les yeux" de tout ce fatras.

    Alors, en ce début de printemps, je vais y retourner tout doux, tout doux et avec un plaisir renouvelé

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    1. Merci infiniment pour ce gentil message. Les plaisirs et les rencontres nés du monde digital ne doivent pas noyer les bonheurs de chaque jour ;)

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