Pourquoi le tissu est important

On peut faire beaucoup de choses par internet sauf deux : faire sentir un parfum et toucher des tissus! Mais je vais quand même essayer d'expliquer pourquoi le tissu est si important. Mes dernières mésaventures chez Zara m'avaient rappelée à l'ordre : le plus joli vêtement du monde n’est rien s'il délave et rétrécit d’une taille au premier lavage. La coupe, c’est important mais le tissu, c’est essentiel. Sauf si tu veux accrocher le vêtement au mur, mais c’est rarement l’idée, surtout avec du Zara (ou n’importe quelle marque de prêt à porter).

Exemple : la mousseline brodées de sequins, c'est un cauchemar à coudre.
Le satin duchesse, c'est déjà plus facile mais c'est la mort à couper.
Modèles Lanvin 2016

L'expert en tendances Li Edelkoort s'inquiétait de ne voir que du jersey et de la popeline dans les rayons : je la comprends. Les propriétés des tissus sont actuellement honteusement sous-exploitées. J’en parlais au sujet du lin, mais c’est valable pour la laine ou le coton, d'autant que grâce aux progrès de la chimie et de la mécanique, les tisseurs peuvent modifier les propriétés naturelles des fibres. Les possibilités sont devenues quasi infinies mais un tissu travaillé coûte cher donc hop, les marques vont au plus court. Il y a des années que je n'ai pas vu, ni en boutique ni sur les défilés, un tissu réversible ou un double-face. Si vous en avez vu, dites-moi où, j'y cours, juste pour le toucher en pleurant de bonheur. C'est pour ça aussi que les supers collaborations Chanel - H&M ou autres sont rarement satisfaisantes, ça pèche souvent côté tissus.

Donc un tissu, c'est du boulot. Il se fabrique en 3 grandes étapes, chacune demande un savoir-faire industriel très particulier.

1. Au départ de tout vêtement, il y a la fibre. Végétale, animale ou synthétique, elle est sélectionnée puis travaillée pour former un fil. Il sera ensuite tissé ou tricoté. Si le fil est de mauvaise qualité, le tissu le sera aussi (les bouloches sont souvent dues à des fils faits avec des fibres trop courtes).

2. Vient la fabrication du tissu : le tissage et le tricotage donneront au tissu une grande part de ses propriétés. 

Pour les tissus tricotés, le fabricant conjugue les motifs et les types de mailles et le titrage des fils (leur grosseur) et la jauge (la finesse du tricotage.) Plus la jauge est élevée, plus le tissu est fin. On peut tricoter de la laine mais aussi du coton, du lin, du raphia, du métal...

Le tissage, c'est tout bêtement croiser des fils ensemble, hop, hop, hop, l'un par dessus l'autre. Ca permet de fabriquer les trois grandes familles de tissus : la toile, le sergé et le satin (c'est très bien expliqué sur L'atelier de Lila), chacun se déclinant en une infinité de tissus selon le type de fils employés, leur nombre, la manière dont ils sont croisés entre eux : la mousseline, la popeline, le tweed, le crêpe, le piqué de coton, etc. Chaque déclinaison a ses particularités : épaisseur, élasticité, imperméabilité, brillance, relief, ... C'est en les exploitant qu'un styliste sera vraiment créatif et sortira des clous, qu'il pourra mettre en valeur une coupe et certaines parties du corps. Le jour où Madeleine Vionnet a pris un tissu et l'a coupé en biais, elle a révolutionné la mode.

Armure toile

3. Après le tissage ou le tricotage, chaque tissu peut être embelli : recouvert d’une résine  (enduits), brodé, perlé, peint, imprimé, doré, froissé... Exemple : l'organdi est une mousseline de coton (toile fine et un peu lâche) amidonnée.

Pour confectionner un vêtement de qualité et confortable à porter, le styliste doit donc combiner le choix d’une fibre et d’un tissu, chacun apportant des propriétés différentes. Certains tissus sont naturellement élastiques, d'autres très rigides, certains glissent ou accrochent, se lavent ou ne supportent pas l'eau... Les combiner entre eux relèvent d'un exploit, comme mélanger de l'eau et de l'huile. C'est là que la coupe et les techniques de coutures interviennent et permettent de tirer le meilleur parti du tissu.

Autre bel héritage du tissu : il est la mémoire des peuples et de leurs industries. La plupart portent le nom de la ville où ils sont nés (le damassé était la spécialité de Damas, le madras d'une ville d'Inde, Organdi vient d'Ourgandi, une ville du Turkménistan, le satin de la déformation du nom d'une ville chinoise qui le fabriquait...) ou du tisserand qui a permis leur fabrication (comme le célèbre M. Jacquard).  Dommage de jeter toute cette histoire aux oubliettes.

Ce qui vaut pour le tissu vaut pour toutes les matières premières, bien sûr. Quoi de plus horrifiant que des boutons en plastique imitant la nacre sur un chemisier bien coupé ? Et s'il est vendu 250 €, c'est juste un motif de boycott éternel de la marque.

Prochaine étape : je vais essayer de répondre à THE question, "comment reconnaître un tissu de qualité ?"



Et si vous voulez aller plus loin : 

Un petit lexique pour la route sur le site La Bobine, merci à elle pour ce boulot de titan.

Guide pratique des textiles, de Daniel Weidmann, aux éd. Dunod, 15,90 €. Très pédagogique, il détaille chaque tissu.

Merci à Marie, chez qui est née ma passion pour le tissu 
et merci au vieux marchand marseillais chez qui je l’ai entretenue pendant 5 ans.

stelda

15 commentaires:

  1. J'ai acheté un très beau polo qui a perdu le 20% de sa surface après lavage !! Ce guide est très intéressant à plus d'un titre ! Merci.

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    1. Un vêtement qui ne résiste pas au lavage, c’est si rageant! Surtout quand il est fait pour être lavé ;). J’espère que la deuxième partie te plaira.

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  2. J'aime les tissus et tu en parles si bien. Tu es une passionnée, j'adore. merci pour ce bel article Stelda et bonnes fêtes à toi !!

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    1. Merci Laurence et très belles fêtes à toi aussi. Gros bisous

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  3. C'est drôle que tu parles de ça. Je viens de consacrer tous mes weekends du mois de novembre à apprendre le tissage... J'ai appris à faire un tweed, un tissu réversible, une broderie prise dans le tissage etc. C'était magique! Je caresse maintenant le reve d'avoir mon propre métier pour explorer davantage.

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    1. Le tissu, c’est vraiment un monde :). J’aurais aimé mettre une vidéo d'atelier mais je n’en avais pas.

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  4. J'aime les tissus et y suis très sensible lors des choix de mes collections.

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    1. Ca ne m'étonne pas de toi :). Je suis certaine que tu fais aussi très attention aux détails et aux finitions.

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  5. Gweny et sa chouette pochette So Chouette21 décembre 2015 à 20:25

    Très bel article et essentiel ! Merci Stelda.


    PS : et on ne parle pas du jean de Gènes et du denim de Nimes... qui ne sont autres que du sergé.

    J'attends avec grande impatience la réponse à THE question !

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    1. Merci Gweny : la suite demain et après-demain. Et j'espère que tu auras des astuces à nous partager :)

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  6. C'est super intéressant. Je lirai avec plaisir la suite de la série. Sinon j'ai beaucoup aimé l'interview d'Ellen aussi :)

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    1. Merci à toi : depuis le temps que j'avais cette idée d'articles en tête... Il était temps de le faire et ton commentaire m'y a poussé.

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  7. Article passionnant! Et merci pour toutes ces références, je vais avoir de la lecture cette semaine ;). Alicia S

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    1. Merci beaucoup pour ta visite et ton gentil commentaire, Alicia. Bonne lecture :)

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