Mannequins : un problème de taille

“Il y a 20 ans, un top-model pesait environ 8% de moins qu’une femme moyenne. Aujourd’hui la difference de poids est de 23%”

En avril, le vote de la loi santé a fait pas mal de bruit. On y trouvait entre autre l'amendement Veran qui exige des mannequins un IMC minimum pour travailler en France. A force de le lire (et les voir) partout, on a bien compris que tous les mannequins étaient des haricots anorexiques. C'est vrai aussi qu'on est complètement intoxiquées par des images artificielles. Mais le problème de la santé des mannequins dépasse largement leur tour de bassin.

Leur amincissement extrême est l'arbre qui cache la forêt. "Il y a une dévalorisation du travail des modèles", m'expliquait Carole Cauchye. "La taille, la corpulence ou le visage ne fait pas tout, rappelle Carole. L'essentiel, c'est l'élégance et la tenue, être ponctuelle et sérieuse, savoir marcher, avoir du rythme, savoir poser, se présenter, s'adapter à la vision du client."
Ancienne mannequin elle-même, elle a créé Coppélia Evènement, un atelier de mannequinat. Pour elle, l’ultra minceur imposée est une facette d’un mépris plus global des mannequins. A un IMC minimum un peu illusoire, elle préfèrerait l'obligation d'une visite médicale complète qui permettrait de juger que le mannequin, gros ou maigre, est en bonne santé, de responsabiliser les parents et les agents : à 16 ou 17 ans, on peut être un échalas sans être en mauvaise santé ou, au contraire, s'affamer pour garder les jambes d'une fillette de 12 ans. L'IMC est donc loin d'être la jauge la plus fiable. Et quid de la malnutrition induite par le rythme de travail ? "Une maman m'a appelée, atterrée : sa fille enchaînait plus de 10 castings par jour!" rapporte Carole. Comment manger son plat de haricots verts, ses patates, ses 5 fruits et son steak dans ces conditions ? Ca se finit forcément par un truc avalé sur un coin de banquette de taxi ou de métro.

On parle donc du poids, face émergée de l'iceberg, mais bien peu des journées de 14 heures subies par des filles de 15 ans (54 % des mannequins ont commencé à 16 ans ou avant). Ni des tortures infligées à leur peau après des jours de maquillage intensif, leurs pieds et leur dos encore fragiles quand elles portent des talons de 20 cm, le travail de nuit. Quand aux jeunes filles d'origine étrangère, entassées à 5 ou 10 dans des appartements, elles sont au mannequinat ce qu'est l'ouvrier émigré au BTP : une main d'oeuvre malléable, interchangeable, corvéable à merci. Si on leur dit de perdre trois kilos, elles le feront. Quitte à perdre leurs cheveux. Si le corps des mannequins est en effet leur instrument de travail, elles sont trop souvent traitées comme des poupées inanimées, insensibles à la douleur, à la fatigue, au froid. Plus encore que l'IMC, je m'étonne que les députés ne se soient pas inquiétés des conditions dans lesquelles travaillent parfois des mineures.

"À 14 ans, j'ai quitté la maison et je suis allée au Japon, en Italie, en France, au Mexique, à New York. Mon agence avait promis à mes parents que j'aurais des chaperons et que je serais sous surveillance mais la réalité, c'était ces langues étrangères que je ne comprenais pas, ces décisions cruciales à prendre sans l'aide des adultes et ces situations sexuelles non appropriées.Entourée par des adultes, j'ai été projetée dans cet environnement que l'on n'est pas prêt à gérer à 14 ans. Je travaillais de longues heures, souvent jusque tard dans la nuit. Une fois, j'ai été obligée de rester dans de l'eau glacée et j'en suis ressortie complètement bleue." témoigne Jennifer Sky, mannequin dans les années 90.
Dans cet extrait du documentaire Girl Model, on suit une petite fille de 13 ans :


En 2013, Vogue UK s'est engagé à améliorer les conditions de travail de ses modèles : des journées limitées à 10 h avec 15 minutes de pause toutes les 5h, des garanties sur la nudité, la température, la présence d'un vestiaire et un paiement rapide (sic!). Les modèles de moins de 16 ans n’auront pas le droit de poser en tant qu’adultes et les mineures n’auront pas la possibilité de faire des shooting les montrant nues. Des conditions décentes, quoi. 

A ses élèves, Carole inculque l'assurance, le plaisir de porter des vêtements et de les montrer au public. Début mai, j'ai assisté à leur défilé de fin d'année : vingt filles de 14 à 20 ans, grandes ou petites, blondes ou brunes, toutes différentes. Toutes souriantes et heureuses. Une autre vision de ce métier et de la jeune fille. Une vision qui fait du bien.


 



 




Pour aller plus loin : l'article très détaillé de Ma Biche
qui passe en revue toutes les facettes du problème.

Photos défilé : James T., merci au site infos-Tours


stelda

10 commentaires:

  1. C'est affligeant de voir comment on traite ces filles ! Les parents les utilisent parfois pour les sortir de leur condition sociale. C'est d'une indécence incroyable...

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    1. C'est vrai mais je crois que le plus indécent, c'est les marques de luxe et les magazines qui exploitent cette misère.

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  2. En effet, tu as raison, ces jeunes filles font aussi des journées de dingues.

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    1. Oui et personne n'en parle. Pourtant, les mineurs ont des droits spécifiques en France.

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  3. Encore un article super intéressant, Stelda. Je suis contente de voir qu'aujourd'hui certaines marques choisissent des mannequins dont la taille se rapproche plus de celle de beaucoup de femmes (même si je ne suis pas dupe du côté très marketing de la chose) et d'entendre certains modèles clamer haut et fort qu'elles ne sont pas "plus size" en faisant du 40-42. Malgré tout, tant que certains feront l'apologie de la maigreur extrême (je ne me souviens plus quelle marque a fait parler d'elle récemment, Victoria's Secret peut-être), on continuera de dire aux modèles qu'elles doivent perdre du poids. Mais les filles des magazines m'embrouillent l'esprit depuis que je suis gamine (j'admirais alors Naomie, Claudia, Cindy, Kate...) : je trouve aujourd'hui les femmes pulpeuses tellement plus belles, mais je rêve de retrouver le 36 de mes 20 ans (ou à la limite le 38 de mes 25 ans, ce serait déjà pas mal...). A bientôt, un de ces quatre, il fera assez beau pour se prendre un verre en terrasse!

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    1. Merci Maeve. Marketing ou pas, c'est en tout cas plus réaliste :). J'i revu récemment des défilés des années 80-90, impressionnant ce que certaines mannequins dégageaient. On voit clairement qu'elles sont plus âgées que les mannequins d'aujourd'hui.
      A bientôt!

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  4. Je pense également que l'IMC est un faux problème. Tu as raison de parler du rythme de travail de ces très jeunes filles. Sinon, je rappelle que maigreur (caractéristique physique) ne veut pas dire anorexie (maladie mentale). Je suis maigre et je mange comme 4. Et, à part çà, les couturiers ont toujours choisi des femmes minces ou maigres pour la seule raison que les vêtements tombent mieux. C'est injuste mais ce n'est pas une loi qui changera çà.

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    1. On focalise tellement sur la maigreur que les maigres doivent se justifier "Non, je te jure, je ne suis pas anorexique", tout comme le gros se justifie de ne pas être un goinfre. Je trouve ça horrible.
      Bien sûr, les couturiers préfèrent les silhouettes filiformes, mais là, on arrive à des aberrations telles qu'on se croirait revenu au temps des corsets. C'est de la torture. Imagine que des créateurs font des robes en 32 ou 34 pour des filles qui mesurent 1 m 80... C'est de la folie.

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  5. Tiens cela me rappelle nos défilés de fin d'années à Duperré. À l'issue de l'un d'eux, une des profs est venue nous annoncer que désormais on ne pourrait plus défiler avec nos vêtements sauf pour celles qui était grandes et minces. Ce n'était pas "vendeur".

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