Politique : les femmes, victimes collatérales


 En rôdant à la Fnac, début septembre, un livre a retenu mon attention : Jeux dangereux à l'Elysée. Je venais de terminer Merci pour ce moment et cette enquête semblait le compléter à merveilles. Bingo! Ecrit par la journaliste Catherine Rambert, c'est, je crois, le premier document qui se penche sur le sort des "femmes de". 
Les femmes en bavent en politique, pas seulement celles qui briguent des mandats mais aussi celles qui suivent leur conjoint. Pourtant, on n'en parle jamais, sauf pour détailler la couleur de leur tailleur, et leur coiffure le jour de l'investiture de leur mari. Tout le monde se fiche du sort qui leur ai réservé. J'ai entendu le pire : "C'est bien fait pour elles", "Elles l'ont choisi", "Elles n'ont qu'à se barrer"... Le même genre d'arguments qu'on sort aux femmes battues. Se barrer ? Pas facile d'abandonner un homme qu'on a connu drôle et charmant, dont on espère qu'il redeviendra celui qu'il était à 25 ans. Et pour aller où ? Beaucoup d'entre elles ont sacrifié leur propre carrière. Le nom connu est parfois un sézame mais peut être une malédiction. Les employeurs sont assez stupides pour refuser d'embaucher la "femme de" Untel, au prétexte qu'il n'est pas de leur bord politique. Et toutes ne rêvent pas d'une planque dans la fonction publique. Les femmes de sont enfermées dans une cage dorée qui s'est construite petit à petit : le témoignage de Bernadette Chirac est édifiant. Leur seul salut : s'éloigner, en construisant une vie parallèle comme Danielle Mitterrand ou sauter du train comme Cécilia Sarkozy. Les journalistes interviewés ont des mots cinglants pour ces minotaures que sont les hommes politiques : droite ou gauche, le grand bain regorge de psychopathes et de pervers, dont les défauts s'exacerbent au fil de leur ascension dans les hautes sphères de l'Etat.

Cancers, dépressions, divorces, les femmes de tombent comme des mouches, premières victimes de notre système politique dopé à l'ego et la testostérone. Le suicide de la femme de Luc Chatel a été un électrochoc pour Catherine Rambert. Elle a décidé de parler de celles qui n'existent pas. Elle a rencontré des femmes ou ex-femmes de députés, ministres, présidents et elle croise leurs confidences avec le regard de journalistes politiques. Le tableau est atterrant. L'auteur résume quelques uns de ces points dans une interview donnée à Paris Match.

C'est l'angle inédit qui m'a poussé à l'acheter et je ne le regrette pas (même si la relecture n'est pas le fort de First, le bouquin est bourré de coquilles!!). En refermant le document, j'étais soulagée que Mr n'ait aucune velléité de carrière politique et terrifiée en constatant que nos responsables politiques sont, pour 90% d'entres eux, des psychopathes.

Extraits du livre :

"Danielle Gouze, devenue Mitterrand, sera jetée dans la politique comme un chat dans la mer. Elle non plus n’avait pas imaginé cela. Quand elle rencontre François en 1944 par l’entremise de sa sœur Christine, il est résistant et cultive le secret comme une seconde nature. Sous la posture du jeune homme romantique, elle décèle néanmoins une personnalité hors-norme, l’étoffe d’un héros. De quoi alimenter les émois d’une jeune femme en fleur. Mais le héros, pressé d’embrasser son destin, ira vite défricher d’autres terres et d’autres cœurs que le sien.

La politique est une maîtresse insatiable. Elle ne tarde pas à le happer tout entier. Il n’y a pas de place pour les femmes en campagne. Elles dérangent et ne servent que pour la photo à laquelle le candidat consent pour le journal local. Les serments et les promesses s’envolent en même temps que le mari s’échappe. Délaissée très jeune, malheureuse, longtemps elle attendra et espérera le retour du héros. En vain. Elle en gardera une vraie souffrance. À celle de devoir élever seule leurs deux fils, Jean-Christophe et Gilbert, s’ajoute celle de perdre un homme qui se révélera piètre père et piètre mari, mais un séducteur impénitent. Elle apprend à vivre avec un fantôme et à accepter les absences.

Pendant qu’il s’égaie dans une vie mondaine et se rend chaque année à Cannes, elle dépérit en éduquant comme elle peut ses enfants. Le couple tanguera souvent, sans rompre. Danielle essuiera de plein fouet toutes les attaques dont Mitterrand fut l’objet durant sa longue marche vers le pouvoir. Le moins que l’on puisse dire étant qu’il ne s’est pas beaucoup préoccupé de la préserver. Cette vie décousue débouchera sur le double foyer que l’on sait.

Mais avant cela, l’ex-première dame a dû mettre bien des mouchoirs sur ses blessures d’amour-propre et ses plaies intimes. Avant de se faire une raison et d’y trouver à son tour un équilibre précaire… Une chose semble avérée, elle fut extrêmement déboussolée au début de leur vie commune. Sonnée, brinquebalée comme un vulgaire paquet par un mari qui ne pensait qu’à lui. Ces meurtrissures ont mis des années à cicatriser, tant elle endura péniblement le donjuanisme, l’indélicatesse de son mari et la violence de ce monde auquel elle n’était pas préparée. Cette vie délirante a eu de lourdes conséquences. Danielle a été détruite dans sa jeunesse et « les enfants Mitterrand n’ont pas eu de vie de famille. Ils ont tous été gâchés. Y compris Mazarine. », conclut Ghislaine Ottenheimer.


« Je n’ai eu qu’une solution… m’accrocher au rocher. Je me suis constamment ajustée… J’ai trop vu de ménages en politique qui ont explosé. C’est tellement lourd. » Qu’en termes mesurés ces choses-là sont dites ! Les plaies intimes et les souffrances infligées par la politique, Bernadette Chirac mieux qu’une autre en connaît l’amertume.

Née Chodron de Courcel, elle offre au futur chef de l’État un mariage valorisant lorsqu’elle lui dit oui en 1956. Elle descend d’une famille anoblie sous le Second Empire et d’une lignée de serviteurs de l’État (un de ses aïeux, Alphonse, fut sénateur et ambassadeur de France et son oncle, Geoffroy Chodron de Courcel, fut secrétaire général de l’Élysée sous de Gaulle). Alors que lui est issu d’une famille d’instituteurs. Déjà bulldozer,il ne faut pas être grand clerc pour supposer qu’avec lui la vie ne sera pas un long fleuve tranquille. Contraste des opposés. Autant il est jovial et plein d’allant, autant elle est effacée et renfermée. Sur les photos de leur jeunesse, sur son visage gracile se dessinent une inquiétude et une indicible fébrilité. Dès le début du mariage, il est absent et des filles se pressent autour de lui, telles des abeilles agglutinées sur du miel. Chirac a un charisme électrique. Une énergie et un sourire à faire chavirer une procession de nonnes en prière.

De facto, quand il embrasse la politique, l’univers de Bernadette chavire. Sa décision lui fait l’effet « d’une douche froide » raconte-t-elle. D’autant qu’il la prend bien sûr de façon unilatérale. Et voilà comment un futur magistrat à la Cour des comptes jette ses oripeaux de haut fonctionnaire pour enfiler avec délices le costume d’un jeune loup aux dents longues. D’abord comme conseiller à Matignon puis comme député de Corrèze et ainsi de suite…
Commence alors à s’égrener le chapelet des heures solitaires. Elle comprend qu’en s’engageant son mari va lui échapper. Après Claude, Danielle… D’une femme l’autre, de droite ou de gauche, le destin se répète, la rengaine est la même pour toutes.

De fait, la voilà délaissée du jour au lendemain, et elle se retrouve seule pour élever ses filles. Elle ne compte plus les soirées au cours desquelles elle les fait dîner en solitaire. Moult fois, il promet de rentrer tôt. Moult fois, il prévient au dernier moment pour expliquer qu’il a mieux à faire. Mieux à faire que voir grandir ses filles et jouer avec elles ? Le destin scélérat leur enverra une addition salée. L’une tombera malade et l’autre, comme pour conjurer le mauvais sort et rattraper les années perdues choisira de travailler avec son père. Les chemins du pouvoir sont ainsi souvent pavés de sang et de larmes pour les entourages. Soyons justes, Chirac aussi ravala ses larmes. Du jour, où la maladie de sa fille se déclara, anéanti de chagrin, il ne cessera de marcher avec une pierre au cou.
Bernadette relate aussi une anecdote révélatrice. Vers la fin des années 1960, lasse de sa solitude et lasse d’attendre, elle informe son mari de sa décision de retourner à la fac et de préparer une licence d’archéologie. La réaction de Chirac ne se fait pas attendre : il trouve cette initiative « ridicule ». En outre, il craint que ce temps accordé aux études le prive des attentions qu’il s’estime en droit de recevoir, lui qui en accorde si peu. Un égocentrisme propre à tous les animaux politiques qui ne supportent pas qu’un seul regard se détourne d’eux.

(...) Bref, s’il juge normal de n’être jamais là, happé par ses joutes politiciennes, il déplore que Bernadette s’octroie une activité propre. Comme si la politique n’autorisait pas ces fantaisies. Comme si elle interdisait aux épouses toute possibilité d’épanouissement. Il la laissera quand même agir à sa guise.
La « corrosivité » du milieu, Bernadette s’y blessera plus souvent qu’à son tour. Inexorablement la distance entre elle et ce mari vagabond et volage se creuse. Elle sera confrontée au ballet des maîtresses et à la ronde des favoris, aux indélicatesses et aux petites trahisons. Dans cette arène autour de laquelle les électeurs tantôt lèvent, tantôt baissent le pouce, elle survivra tant bien que mal. Piégée par une existence dont elle ne voulait pas, mais dont elle n’a paradoxalement jamais voulu s’extraire. Indéfectiblement liée à son geôlier et à son enfer. Et tant pis si l’histoire a viré plus souvent qu’à son tour au roman noir. Tant pis si elle fut niée et absente de la photo, quand elle était jugée ringarde ou mémère.

Catherine Nay se souvient parfaitement de cette interview pour Europe 1, que Bernadette Chirac lui accorde peu de temps après la première élection de Chirac à l’Élysée. Le rendez-vous est organisé avec le secrétariat de la présidence pour un entretien d’une heure avec « Mme Chirac ». Le jour dit, la journaliste se présente devant les grilles de l’Élysée. À sa grande surprise, l’huissier chargé de la conduire dans le bureau de l’épouse du chef de l’État, l’amène dans celui de… Claude Chirac ! Une fois le quiproquo élucidé, elle rejoint Bernadette dans ses bureaux. Et lui relate la confusion de l’huissier. « Mais enfin, lance Bernadette accablée, vous ne saviez pas que le président était veuf ? » Et la journaliste de conclure : « Au fond, elle l’a toujours emmerdé. » Jugement lapidaire mais clair, venant d’une observatrice à l’œil aiguisé qui sait quand il le faut tremper sa plume dans l’acier.
Bien sûr, les années lui ont tanné le cuir et Chirac a atteint son but. La victoire panse les plaies des combattants. Mais tout de même, le contrat n’était pas celui-là. « Si je réussis mon concours de sortie, un jour, vous serez peut-être la femme du préfet (de Corrèze) », lui avait-il lancé alors qu’il était encore étudiant à l’ENA. La vie aurait-elle été pour autant un fleuve plus tranquille ?


Finalement la première à ne pas avoir été prise de court par le destin de son mari fut Cécilia. Quand elle rencontre Nicolas, il est déjà maire de Neuilly. Pressentant qu’il a trouvé en elle sa muse, il lui jure d’emblée : « Nous monterons les marches de l’Assemblée nationale ensemble. » En voilà une au moins qui est prévenue. Et pourtant elle fut la première, devant le perron de l’Élysée à se dérober et à refuser l’obstacle. Quel symbole !

Que se passe-t-il de terrible dans une vie politique et dans une ambition partagée pour s’esquiver en vue de la ligne d’arrivée ? Quels tourments et quelles vexations a-t-il fallu endurer pour que le goût de ce pouvoir âprement conquis paraisse soudain si fade ? Tirer sa révérence quand tous les combats ont été gagnés. À l’image de ces soldats mortellement blessés, mais inconscients de leur douleur, qui achèvent les derniers adversaires avant de s’effondrer à leur tour, une fois la victoire remportée. Tout ça pour ça ?
En réalité, avant toutes choses, avant de changer d’objet du désir, de rencontrer Richard Attias et de partir, Cécilia a été victime d’un burn out. Victime expiatoire de la brutalité de cet univers implacable. On la croyait d’airain, elle n’était que papier. Pas si solide finalement pour supporter les avanies, les trahisons, les renoncements imposés par un marathon sans fin.
En 1999, le couple se rend aux obsèques de la mère de Cécilia. Journée de deuil et de recueillement. Un moment de trêve, espère cette dernière. Le téléphone sonne. Chirac informe Sarkozy de la démission de Philippe Seguin de la présidence du RPR. Les élections européennes se profilent. Le président lui demande tout de go de prendre la tête de liste et de partir en campagne dès le lendemain. Consternation de son épouse. Même un jour de chagrin, la politique cogne à la porte pour dicter ses ordres. Tout doit céder et plier devant ses urgences. Elle ne respecte aucune peine, n’accorde aucun répit. Elle dévore et aliène. Pas le temps de s’apitoyer, le lendemain matin à huit heures, les époux Sarkozy montaient ensemble dans un avion et partaient en campagne.
Trop de bruit, trop de fureur, trop d’hystérie. Nicolas se reprochera de ne pas l’avoir assez protégée. Il aurait pu dire, de l’avoir trop maltraitée, de l’avoir essorée pour son seul profit, en masquant son égoïsme et égocentrisme sous de grandes déclarations d’amour. Sans doute était-il sincère. Mais vient un temps où l’on ne paie pas que de mots.
« Il pouvait lui parler comme à un chien, raconte un témoin de leur relation. Il était parfois très agressif avec elle, comme avec ses collaborateurs d’ailleurs. Mais en même temps il avait une vraie dépendance psychologique. » Façon de dire que cette dernière a beaucoup encaissé. Trop ? Hyperexposée pour les besoins de la cause, Cécilia était vulnérable. « Elle n’avait jamais l’air contente, m’explique un journaliste politique qui côtoya le couple. Elle faisait toujours plus ou moins la gueule. Elle traînait une espèce d’insatisfaction. » Ou de désenchantement. Cette mélancolie de Cécilia m’est confirmée par la plupart de mes interlocuteurs. Tempérament insatisfait ? Ou émanation d’un mal-être ? Elle avait toujours rêvé d’une maison de campagne, raconte-t-elle dan son livre, Une envie de vérité (Éditions Flammarion). Elle ressentait la nécessité de souffler et de s’extraire de cette nasse. Sarkozy n’en voyait pas l’utilité. Se reposer ? Pourquoi faire ? Ainsi va l’égoïsme des hommes politiques. Ce qui ne les sert pas ne sert à rien."

Jeux dangereux à l'Elysée, de Catherine Rambert, Editions First, 14,95 €

stelda

10 commentaires:

  1. Ces femmes sont courageuses et se sacrifient terriblement pour leurs époux.

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    1. Le plus impressionnant, c’est que personne ne s’effraye ni même s'inquiète des manières ahurissantes de ces hommes politiques.

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  2. A notre époque, avec l'éducation que nous recevons, la plupart des femmes (même si des hommes peuvent naturellement être concernés, quelque chose me dit que les conjoints des députées sont moins affectés par cet isolement...) sont de moins en moins prêtes à ce sacrifice total, le risque de ne plus pouvoir exister en tant que personne. Les compagnons de militaires et autres marins souffrent souvent aussi de l'éloignement dû à la charge, mais il n'y a sans doute pas toute ce chagrin lié à l'entreprise de séduction tous azimuts des politiques, une vie entièrement tournée vers le public, l'extérieur.

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    1. Exact : Catherine Rambert à rencontré quelques "maris de" et ils le vivent beaucoup mieux.
      La place de conjoint de marin ou de militaire est parfois difficile mais il y a beaucoup de solidarité entre conjointes et elles ne sont pas exposées, comme tu le soulignés, à cette indécence.

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  3. Ce n'est pas la femme de Luc Chatel plutôt? En tout cas, ce livre a l'air super intéressant! Bisou

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    1. Mais si ! Heureusement que tu es là, Woody. C’est rectifié, merci beaucoup. Bisous.

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    2. Mais de rien! (au moins t'as vu que j'ai bien lu ton article ^^)

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    3. Ça, je n’en doutais pas :)

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  4. C'est un billet super intéressant ... de quoi donner envie de lire ce livre ! Merci Stelda et bon WE

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    1. Tu sais ce qui m’a le plus frappé? La lucidité des journalistes qui témoignent. Cinglante.
      Bonne semaine, Laurence :)

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