Sweatshop : on a noyé notre empathie

Le choc des modes de vie, c’est dans « Sweatshop » : quand trois étudiants norvégiens rencontrent ceux qui fabriquent leurs vêtements.

Capture écran de Sweatshop

Si vous lisez les sites de La Tribune, Madame Figaro, Gala, Le Monde, Au Féminin, Le Parisien, 20 minutes, Les Inrocks, Consoglobe, ELLE ou L'Express, vous n'avez pas pu y échapper. Diffusé par le journal norvégien Aftenposen, « Sweatshop, deadly fashion » a eu autant d'impact que les photos des ruines du Rana Plazza effondré. En mode immersion, un réalisateur a filmé 3 jeunes Norvégiens qui prennent la place de ceux qui cousent leurs fringues, vous savez, ces montagnes de tee-shirts à 4,95 € qu'on trouve chez H&M, de vestes à 49,99 € étiquetées Mango ou même Guess et Ralph Lauren (mais le prix n'est plus le même. Sauf pour les ouvriers). Pendant quelques jours, nos étudiants fans de shopping ont partagé la vie des ouvriers d’une usine textile au Cambodge. Ils ont donc dormi par terre, mangé du poisson (pas très frais) et cousu des kilomètres de tissu dans une usine de Phnom Penh. Le tout pour une poignée de dollars par jour. 

La démarche peut sembler racoleuse, plus proche de la télé-réalité que du documentaire. Mais elle est utile, à entendre les réflexions des trois jeunes cobayes. A l’écran, Frida avoue n’avoir « jamais imaginé que ces choses-là puissent être réelles » et quand elle demande à une ouvrière si elle est heureuse, elle est surprise de sa réponse négative : « Je pensais qu'elle dirait oui, car les gens ici n'ont pas d'autres alternatives, ils n'ont pas vu les maisons en Norvège. » C’est bien connu, tout le monde rêve de travailler 360 jours par an, de dormir par terre et de se nourrir de chou. Anniken, elle, a une révélation : « Lorsqu’on commence à parler à une personne (les ouvriers) on se rend compte qu’elle a la même valeur que nous ». La Déclaration universelle des droits de l'homme existe peut-être mais elle n'a pas dû être lue par tous.

J'ai beau connaître la sauce des documentaires et savoir qu'un bon montage peut faire dire tout et son contraire au malheureux "personnage" (oui, c'est le nom que les journalistes donnent aux personnes filmées...), ces réflexions me laissent un sacré sentiment de malaise. Notre société carbure à l’émotion mais l’empathie semble en voie de disparition. Faut-il donc le vivre pour le croire ? C'est toute la question posée par la série. Et elle peut surtout s'étendre à d'autres sujets de société et nous faire réfléchir à notre rapport aux autres, dans ce monde qui est devenu grand comme un mouchoir de poche mais qui, parfois, reste limité à notre rue.

Ce documentaire, comme beaucoup d'autres, joue sur la légitimité. Cette fameuse légitimité que l'on trouve partout aujourd'hui, que l'on exige de chacun d'entre nous pour nous donner la parole : il faut avoir été battue, violée ou licenciée enceinte pour parler des violences faites aux femmes, être juive, musulmane ou noire pour s'exprimer sur l'antisémitisme, le racisme, la laïcité, avoir subi un effet secondaire médicamenteux pour parler des abus du lobby pharmaceutique... et la liste est longue. On peut aussi avoir écouté et vu ceux qui souffrent. Ca s'appelle l'humanité.

Je ne connais pas tout de la vie de mes amies, je doute malgré tout que beaucoup d'entre elles aient déjà travaillé dans une usine textile 8 à 12 heures par jour, pour 130 dollars par mois. Ca n'a empêchées certaines d'entre elles de signer les pétitions interpellant les grandes marques et/ou de changer leurs habitudes d'achats.

Pas besoin d'aller au Cambodge pour imaginer, quand je me promène dans le rayon enfant de certains magasins, que tel jean ou telle robe qui seraient trop mignons sur Lutin n°1 ou Lutin n°2, ont peut-être été teints et cousus par des gosses qui ont l'âge des miens... 

Pour celles qui ne l'auraient pas encore vu et qui souhaiteraient se faire leur propre opinion, les épisodes sont visibles ici.

A lire : l'article de L'Express, qui se demande si les 3 jeunes ont modifié sur le long terme leurs habitudes d'achats

stelda

25 commentaires:

  1. Pas besoin d'aller au Cambodge pour ressentir de l'empathie ... Nous y sommes allés l'hiver dernier et nous avons rencontré un peuple pauvre et adorable. Et lorsque nous voyons cette pauvreté, et que nous pensons aux magasins cheap chez nous, le soir après une journée de soldes, tant de vêtements parterre que les clients piétinent pour arracher la bonne affaire, nous ressentons un sentiment de révolte et en même temps, nous nous sentons complices d'un système !
    On espère qu'un maximum de personnes aient vu ce film pour changer nos comportements d'achats à usage unique. Parce que pour faire des économies, on le comprend. Mais pas pour remplir les armoires remplies !
    Donc pas besoin d'aller au Cambodge, mais nous ne pouvons plus dire que nous le savions pas - respectons les gens et aussi la matière...

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    1. La réflexion je ne peu pas que c’était réel" m’a sidérée. Je crois que je vais faire une interview de groupe auprès de copines de ma fille de 16 ans : je me demande combien de petites pensent la même chose.
      Je crois qu’on n’est pas complice, mais on a une responsabilité, celle de voter avec notre porte monnaie :)

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  2. Ton raisonnement final est absolument incontestable. Je le partage. Cependant, dans la forêt télévisuelle des téléréalités insupportable de bêtise, finalement, ces documents chocs peuvent peut-être servir à une prise de conscience de certains spectateurs qui ne lisent pas, ne regardent pas les reportages, et sont de ce fait laissés de l'autre côté de l'information et de l'esprit critique, mais qui en revanche sont friands de télé-réalités....Je ne dénigre pas ces personnes mais par un moyen ou un autre, c'est bien aussi de faire réfléchir. Après, est-ce pour autant que les comportements d'achats changent, ça, c'est une autre histoire, y compris éconimique...

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    1. C’est certain, tout comme je préfère mille fois Super Nanny à L’Ile de la tentation 😊.
      Mais ce que je trouve terriblement triste, c’est que tant de gens ne se sentent pas concernés par ce qu’ils ne voient pas "en vrai".

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  3. Signer des pétitions c'est bien gentil, mais ce n'est pas ça qui fera changer les choses. La seule chose qui pourrait faire bouger la situation, c.est le boycott. Est ce que toutes les personnes qui signent sont prêtes à changer leurs habitudes de consommation ? A ne plus acheter de marques made in Asia ? Je ne rentre plus chez h&m et j'essaye de faire un peu plus attention à ce que j'achète mais bon courage ! Et payer plus cher ne change rien, même les marques haut de gamme font fabriquer en Asie.

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    1. Les pétitions fonctionnent un peu pour ce genre d'action, comme interpeller les marques sur les réseaux sociaux : elles ont horreur de la mauvaise pub ! Donc elles cèdent (un peu). Mais je suis d'accord que l'essentiel est de changer de crèmerie.
      C’est très très dur de supprimer le made in n'importe quoi : en Roumanie non plus, ce n’est pas la joie.
      Changer ses habitudes, c'est long mais je pense qu’on est de plus en plus à le faire. Il y a 3 ans, aucun blog beauté branché ne parlait de produits bio. Aujourd'hui, ils en parlent tous ! Je crois que ça dépasse l'effet de mode, les filles se rendent compte que les produits fonctionnent aussi bien (et comme il y plus de concurrence et de débit, ils sont aussi moins chers).
      J’arrive à habiller mon mari en made in France. Les enfants, c’est plus dur, donc j'opte pour le seconde main qui a le mérite de limiter les déchets et la pollution. Pour moi, vintage et marques françaises en soldes. Même si ce n'était pas le plus joli, pour mon manteau, j’ai choisi le modèle qui me semblait le plus éthique.
      Mais c’est clair que ça demande plus de temps. Pour le jean, par contre, je n'ai pas trouvé d'équivalent, ma chasse va se terminer chez Levi’s :)

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    2. Les pétitions sont quand même utiles. Par exemple Peuples solidaires a lancé une campagne pour demander à Auchan d'indemniser les victimes du Rana Plaza (où ont été retrouvées des étiquettes de vêtements In Extenso, la marque distributeur d'Auchan). Les médias en ont parlé et à la fin Auchan s'est engagé à contribuer au fonds d’indemnisation des victimes du Rana Plaza ( http://www.peuples-solidaires.org/rana-plaza-auchan-promet-15-millions-aux-victimes/ )

      Sinon j'avais trouvé un chouette jean's éthique de la marque Nu mais on dirait qu'ils ont arrêté l'activité. Je sais qu'il y a Misericordia, 1083 et Nudie Jeans qui en font mais je n'ai pas testé.

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    3. Merci :) je vais continuer à chercher un jean et peut-être regarder chez Merci ou Centre Commercial.

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    4. Bonjour, Stelda
      Regardez donc du côté de la toute jeune marque "1083", jean en coton bio 100%, made in France, issu du financement participatif.
      Je vous mets le lien ci-dessous
      www.1083.fr

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  4. Je suis complètement d'accord avec toi mais je suis d'accord avec le com' de Benedicte. C'est quand même compliqué pour trouver des fringues de qualité, à un prix raisonnable et fabriquées dans des conditions humaines. Même les marques de luxe font fabriquer là-bas, je crois bien que c'est le pire. Si je me joue l'avocat du diable, autant acheter une fringue à H&M à 20€ plutôt que chez Maje à 200€ qui sont toutes les 2 fabriquées dans ce type d'usine aux mêmes conditions.
    C'est vrai que le bio "clean" (des marques qui n'appartient pas à des grands groupes) se développe de plus en plus, j'espère vraiment que pour les fringues on aura le même tournant.

    Bisou!

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    1. Tu ne joues pas l'avocat du diable, tu as parfaitement raison. Une partie de la différence de prix est justifiée par les tissus (plus fins, plus travaillés), une autre sert à payer la pub et la location d'emplacements premiums, donc...

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  5. Ah Stelda, ça me manquait après ces jours passés !!
    J'avoue que ce que je retiens (et oui on a tous notre propre vision, forcément parcellaire), outre le fait que l'on met encore le doigt sur notre hyper consommation, c'est ce manque d'empathie, d'individualisme, d'egoïsme béat, de non conscience dont nous sommes tous victimes. C'est dés l'enfance qu'il faut commencer, après c'est bien plus compliqué, voire foutu. Mais le sens critique, l'appréciation, ce qui dure, ce qui est économique (et pas forcément le moins cher-ou le plus cherr aussi d'ailleurs) ne font plus recette depuis au moins 30 ans. Non je ne suis pas ring, non je ne suis pas réac, simplement malade de trop d'abondance mal répartie. Seul l'humain exploite l'humain pour son propre plaisir ( tout comme il tue son prochain, comme le....rat de manière gratuite, et oui, aucun autre animaux ne fait ça dans la nature...). De la même façon que, curieusement, en France on "découvre" les banlieues qui vont mal (ah bon) peuplées bien sur uniquement d'immigrés, ce sont eux qui n'ont pas participés hein... Bon je me calme, ça me tient trop à coeur. Je vais visionner ce documentaire. Merci encore.

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    1. Je suis ravie de te lire aussi, Eveange :). C'est vrai que cette société de consommation nous a bien déformés... on a des réactions parfois incroyables et c'est très dur de se désintoxiquer.

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  6. Consommer, et ce dans tous les domaines, est un dilemme aujourd'hui. Beaucoup d'informations sont disponibles pour qui cherche à les connaître, tant sur les conditions de fabrication que sur la toxicité des différents produits sur l'environnement et les consommateurs. Aujourd'hui, pour tous ceux qui ont accès aux médias en tout cas, plus personne ne peut dire "je ne savais pas". Certains ne se sentent pas du tout concernés, et souvent, ils ne seront touchés que par des images choc. Et pour les autres, ceux qui se veulent avoir un comportement responsable, la plupart sont confrontés au problème de trouver des produits qui rentrent dans leur budget, en ce contexte lourd de la crise. Boycotter, oui, cela aboutit parfois à un changement de comportement de certains fabricants, mais en attendant, le grand public manque cruellement d'informations sur les alternatives possibles et accessibles à tous. Merci pour ce bel article ^^

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    1. Il y a la question du budget et surtout, le fait qu'on a moins de temps, on court tout le temps et on va au plus rapide pour les achats. Il y a quelques années, je faisais plein de cadeaux maison. Je n'ai plus le temps.

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    2. Oui, pas le temps d'aller fureter les bonnes boutiques avec des bonnes marques éthiques ... J'insiste sur le manque d'alternatives à portée de main, et de tous.

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    3. Il faudrait que je refasse un article avec quelques astuces ;)

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  7. Ah question supplémentaire (en plus d'un mea culpa pour les fautes de frappe et fautes tout court du message précédent) : sur le lien que tu indiques, je ne comprends pas s'il s'agit d'extrait ou d'épisodes entiers. En espagnol, je comprends bien, mais le norvégien, navré mes connaissances sont un peu rouillées... On trouve le bidule sur You Tube ? Tiens m'en vais regarder.

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    1. Des fautes ?? Quelles fautes ? :D. A mon tour de faire mon mea culpa, il me semblait avoir mis le lien vers la version sous-titrée en anglais.

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  8. J'avais lu cet info sur le site L'express, mais la conclusion de l'article dans le chapitre " et après", démondre que finalement ca n'a pas empéché les filles de continuer leur train de vie habituel... A lire je pense...

    http://www.lexpress.fr/styles/mode/video-sweatshop-dans-la-peau-d-ouvriers-du-textile-au-cambodge_1642552.html?xtor=RSS-3011

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    1. Oui, Mathilde a été, je crois, la seule à creuser derrière le film. Merci de le rappeler, je vais mettre le lien dans le post.

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  9. Je l'ai vue. Je pense que ce qui changera un peu, c'est se qui se passe en ce moment, la dévaluation de l'euro: tous les grossistes chinois sont furieux car ils sont obligés d'augmenter leur prix.
    Sinon les marques éthiques sont quand même plus cher ( j'en vends quelques une) les gens n'ont pas toujours les moyens.

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    1. C'est vrai. J'ai lu que les différences de coûts de fabrication entre la Chine et l'Europe se lissaient. Mais les marques se tournent vers l'Afrique ou d'autres pays d'Asie...

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  10. entièrement d'accord avec cette analyse chère Stelda. Faut-il donc le vivre pour le croire ? Non! On a tous déjà vu ces images d'enfants, d'adultes privés de vie. Ce n'est pas nouveau! Je trouve ça stupide de faire l'expérience de vivre ces conditions indignes pour finalement rentrer chez soi, comme si de rien n'était, quelques jours plus tard.
    Je me suis détournée des marques qui fabriquent dans conditions douteuses pour privilégier celles qui fabriquent plus près (Portugal, Italie, Espagne, ...), dans des conditions qui me semblent équitables. Je souligne leur qualité, leur durabilité. J'attends les soldes pour pouvoir garnir ma garde-robe. Je n'achète plus du "jetable". J’espère que le monde de la mode évoluera pour offrir une vie digne à tous.

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    1. J'utilise les mêmes astuces que vous :) L'Express, comme l'a rappelé Murielle, était aussi assez réservé sur l'intérêt du doc.

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