Wallis Simpson, reine de glace

Pour ses admirateurs, Wallis Simpson est une icône de mode, la femme qui osa porter la robe Schiaparelli ornée d'un homard de Dali, celle dont la boîte à bijoux fut un catalogue de créations Cartier. D'autres encore affirment qu'elle est une Juliette moderne, celle qui vécut la plus époustouflante histoire d'amour du XX° siècle lorsque le roi Edouard VIII renonça au trône d'Angleterre et au royaume des Indes pour l'épouser.

Wallis Simpson (1896 - 1986)

Pour Charles Higham, auteur de Wallis Simpson, la scandaleuse duchesse de Windsor, elle était "une formidable et talentueuse aventurière", une intrigante de haut vol qui avait appris l'art de séduire les hommes dans les maisons closes chinoises et mit le grappin sur le roi d'Angleterre, une prouesse pas donnée à la première catin venue.

Pour tous, Wallis Simpson incarne la femme coquette et libérée des années 1930, celle qui ose divorcer (deux fois), s'afficher publiquement comme la concubine de l'héritier du trône et future chef religieux de l'Eglise d'Angleterre. Madonna en fait une petite fille perdue, victime des hommes et qui sacrifie sa liberté par amour, Tom Hooper la dépeint en une scène comme une arriviste.

Mais qui est Wallis ? Comme Lagerfeld, elle si savamment construit son image qu'il est quasiment impossible de distinguer sa personnalité derrière ses poses hiératiques. Une femme sensible ? Une hystérique égoïste ? Une calculatrice froide ? Une poule de luxe ? Peut-être elle-même ne le savait-elle plus. Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'a strictement rien fait de sa vie, à part porter des toilettes de plus en plus luxueuses. 

Qui est Wallis ? Après avoir lu une quantité d'archives et les coupures de presse relatant leur mariage au château de Candé, à quelques kilomètres de Tours, visité le dit château, lu le livre de Suzy Menkes, regardé le film W. E., je n'arrive pas à percer cette femme. Je reste partagée entre l'admiration, la pitié et le mépris. Admiration pour celle qui fit de sa vie une oeuvre d'art, qui semble avoir vécu une osmose rare avec son conjoint et se moquait éperdument du quand-dira-t-on. Pitié pour celle qui fut traînée dans la boue, affublée de tous les noms d'oiseaux, rejetée par son pays d'adoption, sa belle-famille et tout un peuple. Mépris pour celle qui apparaît comme une coquille creuse, voire malsaine : plusieurs sources soulignent ses sympathies pour Hitler et Mussolini, qu'elle rencontra en compagnie d'Edouard et en 1940, un rapport du FBI la soupçonne même d'être une espionne du régime nazi.

Ce qui est certain, c'est que le premier mariage de Bessie Wallis Warfield avec un militaire est malheureux et dès le deuxième, elle manifeste des goûts dispendieux qui la font vivre, elle et Mr Simpson, bien au-dessus de leurs moyens. Elle hante déjà une simili jet-set lorsqu'on lui présente le prince Edouard en 1930. Wallis a presque 40 ans. Elle fascine malgré tout le prince. Les photos montrent le soin extrême que l'américaine apporte à son apparence. Avec son maquillage sophistiqué, sa chevelure toujours impeccable, sa silhouette "fine comme une aiguille", Wallis a une allure frappante, un style précis, acéré, comme son esprit : on dit qu'elle avait beaucoup de répartie. 

A partir de 1934, ils s'affichent ensemble dans les soirées ou en voyage : le gouvernement et la famille royale sont sens dessus-dessous. Edouard VIII comprend que Wallis, deux fois divorcée, ne peut être reine et après quelques mois de règne, il abdique au profit de son frère, refusant de régner "sans le soutien de la femme qu'il aime". Il prend alors le titre de duc de Windsor.

Le 3 juin 1937, le couple le plus célèbre du monde se marie en Touraine et part en voyage de noces à Venise : ce sera le début d'un exil qui durera un demi-siècle. Ils vivront à Lisbonne pendant la Guerre, puis s'installent à Paris en 1952. C'est là qu'Edouard meurt en 1972 et que Wallis s'éteindra en 1986. 

Photo de mariage de Wallis et Eouard
à Candé, le 3 juin 1937 (crédit : Cecil Beaton)
Un  demi siècle avant celle de Lady Di, sa robe de mariée, une longue tenue en crêpe qui souligne son extrême minceur sera l'un des modèles les plus copiés de l'époque. Wallis Simpson avait un soin obsessionnel de sa silhouette : dès qu'elle prenait 200 grammes, elle demandait à ses cinq cuisiniers de lui mitonner des plats particuliers. 

Sa garde-robe est l'une des plus époustouflantes de son époque. Wallis, qui se trouve laide, utilise le vêtement comme une armure et comme une arme. Elle a des goûts bien à elle et beaucoup d'audace mais l'immense richesse du duc de Windsor y est aussi pour quelque chose. Comme beaucoup de femmes de son époque, toute sa garde-robe est faite sur-mesure, à la différence qu'elle ne se fournit pas chez la couturière de quartier chez les plus grands couturiers et toujours les plus audacieux : Schiaparelli, Dior, Givenchy, Saint Laurent... 
Styliste chez Dior, Marc Le Bihan raconte encore à quel point ses essayages avec la duchesse de Windsor l'ont marqué. Elle change de tenue, mouchoir compris, trois à quatre fois par jour. Elle aurait possédé jusqu'à 2 000 paires de gants, des centaines de sacs à main ; le grand coiffeur Alexandre vient lui  faire son chignon chaque matin et repasse vers 19 h la coiffer avant qu'elle sorte ou reçoive.

Le duc et la duchesse ne semblent jamais avoir oeuvré à quoi que ce soit : ni engagement politique, ni bonnes oeuvres. Ils se contentent de dépenser sans compter les rentes de l'ex-roi d'Angleterre : ils reçoivent, voyagent, errent de dîners en réception, achètent des bijoux et des tableaux, des meubles d'époque. On les voit aux côtés de tous les grands de ce monde. Ils ont 18 domestiques (oui, 18! Vous avez bien lu), leur villa décorée dans un style extravagant est le royaume de leurs carlins qu'ils considèrent comme leurs bébés : le couple fera même fabriquer une pantoufle pavée de diamants en mémoire de l'un d'entre eux. Wallis n'a pas le droit de porter le titre d'altesse royale ; alors, pour laver cet affront, Edouard lui offre des bijoux dignes d'une reine et elle poussait le goût du luxe jusqu'à assortir ses bijoux à la couleur de son mobilier. 


Tout cela semble bien creux. Pourtant, lorsqu'on regarde la vidéo ci-dessous, comment ne pas être ému par ce couple ? Aussi noceurs, superficiels, inutiles l'un que l'autre mais indispensables l'un à l'autre :  après la mort du duc, Wallis perdit peu à peu la tête. Deux vieillards qui n'avaient que l'un pour l'autre, partageant les mêmes goûts, les mêmes errances. Deux âmes soeurs qui se sont trouvées. Eux seuls savent s'ils étaient damnés.

Et puis, faut-il toujours servir à quelque chose ? Certaines personnes ne sont peut être là que pour apporter le superflu. Dans le cas de Wallis, c'est l'amour de la perfection. Elle montre aussi, peut-être, la voie d'une âme de fer, d'une femme qui a réussit à dépasser la haine et le mépris qu'elle inspirait et  finalement, une pudeur extrême cachée sous ces photos glacées.

   

A voir : deux films très différents qui racontent l'histoire de deux frères que tout oppose.

W. E. de Madonna : l'histoire d'amour de Wallis et Edouard, racontée par flashbacks. Le film est très mauvais, l'intrigue embrouillée, les acteurs mal dirigés, la musique nulle, les lumières lamentables. L'histoire devient intelligible à 47'. Mais les costumes sont magnifiques et lui ont valu une nomination bien méritée aux Oscars.

Le Discours d'un roi, de Thomas Hooper, est son exact contraire. Fin, drôle, avec des acteurs magnifiques, il raconte l'émouvante l'histoire de Georges VI, le petit frère souffreteux d'Edouard qui lui succéda sur le trône. A contrario d'Edouard VIII, noceur et égoïste, George VI témoigna d'un courage qui lui valu un immense respect des Anglais.

The Woman he loved : moins connu, ce film réalisé en 1988 par Charles Jariott a le goût désuet des années 1980 et la présence de la belle Jane Seymour dans le rôle de Walis.

A lire :

Le style Windsor, de Suzy Menkes, Editions le Chêne, 224 pages.

La véritable duchesse de Windsor, de Bertrand Meyer-Stabley, Editions Pygmalion.

Wallis la magnifique, de Laurence Catinot-Crost, Editions Atlantica, 392 pages.

Wallis Simpson, la scandaleuse duchesse de Windsor, de Charles Higham, Editions Lattès, 476 pages.

stelda

16 commentaires:

  1. Que penser de ces personnes qui ont une élégance physique extraordinaire, un soin dans leur apparence que l'on pourrait appeler la classe s'il n'y avait pas ce goût immodéré du luxe qui fait plutôt penser à la décadence ! On peut admirer leur amour, du moins de son côté puisqu'il a renoncé à la couronne pour elle, mais il a pu profiter de beaucoup d'argent. Et elle ? Aujourd'hui on la traiterait de hystérique, d'anorexique. Il y a quelque chose de terriblement has been dans cette histoire !

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    1. Je pense qu'Edouard n'était pas fait pour la couronne : trop de contraintes, trop de travail... Le sacrifice n'était peut-être pas si grand pour lui non plus.

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    2. Le luxe vous fait penser à la décadence ??
      Mon Dieu !
      Vous devez avoir une notion étrange du luxe et du bon goût vous !
      Il n'y a rien d'"has been" dans cette histoire ! Mais alors rien !
      bien au contraire ! Cette histoire est plutôt du côté d'une tragédie grecque contemporaine que d'une histoire dépassée par je ne sais quoi dans votre esprit.

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    3. Certains luxes, oui, sont parfaitement décadents.

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  2. Je ne connaissais pas autant de détails sur sa vie ... quelle vie, finalement aussi riche que superficielle mais ça fait vivre du beau monde tout ça !!

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    1. C'est sûr qu'ils ont fait les beaux jours de pas mal de grandes maisons, Cartier en tête :)

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    2. De Givenchy et Rochas aussi...

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  3. Tu donnes envie d'en savoir plus, films ou livres, très belle histoire !

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    1. Une histoire intrigante, que j'ai découverte pour la première fois il y a quelques années, quand j'ai visité le château de Candé. J'ai vu les 3 films mais n'ai lu que le livre de Suzi Menkes. On la sent fascinée par la vie de cette femme.

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  4. "Aucun engagement politique"... c'est heureux vu leurs sympathies fascistes... On n'ose imaginer un tel roi au moment de la bataille d'Angleterre ! Ces personnages me sont antipathiques, et l'est encore plus à mes yeux le fait de s'extasier sur leurs extravagances (Windsor offrant à sa femme une brouette de bijoux par ex.). Merci pour cet (une fois de plus) très bon article. Et tu donnes envie de voir le film de Madonna :)

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    1. C'est d'ailleurs sans doute ces sympathies qui ont poussé Edouard à la démission, plus que son histoire d'amour.
      Le film de Madonna est très mauvais, je préfère te prévenir... Mais les costumes sont si beaux que ça vaut le coup d'oeil.

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  5. Merci beaucoup ! Je ne connaissais pas du tout ! C'est très intéressant
    Bises

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  6. J'aime ton expression " inutiles l'un que l'autre mais indispensables l'un à l'autre". C'est vraiment ça. Quand je pense qu'elle n'arrêtait pas de se plaindre d'être "enfermée" à Nassau pendant la guerre alors que le reste de l'Europe souffrait le martyr.

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    1. Tu sais que c'est grâce à ton article sur les Windsor que j'ai découvert le livre de Menkes ? Je ne regrette pas d'avoir craqué, il est passionnant.
      Wallis me fait un peu penser à Coco Chanel :) Même type de caractère très... fort.

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