Dans les pas de Thierry Mugler

Thierry Mugler (1948-)

«A partir d’un certain âge, votre gueule va avec votre vie. Quelqu’un qui se marre dans sa tête n’a jamais une sale tronche»


A défaut d'une interview exclusive accordée par Thierry Mugler, je cite ses mots confiés à Paris Match. Une phrase dont on peut tous s'inspirer. Les moins de 30 ans retiennent surtout de ce grand couturier son parfum bleu et ses sacs à main marqués d'une grosse étoile métallique. Nous nous abstiendrons ici de nous étendre sur cette maroquinerie (sous licence) que je trouve aussi dommageable pour le travail de Mugler que les sacs Lacroix le sont pour son confrère. Mais je tiens à parler de Thierry Mugler, l'un des grands perclus de la mode, l'un de ceux qui a préféré arrêter le métier avant de se perdre parce qu'il naviguait dans un monde qui ne lui correspondait plus.

Derrière sa silhouette de boxeur surdimensionnée, Thirry Mugler est un gentil, un doux, un rêveur. Un artiste qui imagine un autre monde et le fabrique grâce à la couture. Un homme qui ose plier le réel à la force de son imaginaire. Comme Azzedine Alaïa, il construit ses vêtements autour de la forme. Après quelques modèles vendus sous une première marque, Café de Paris, Mugler crée une marque à son nom en 1974. Ses silhouettes affutées tranchent avec la mode hippie de l'époque et c'est ce qui explique son succès.

modèles de Thierry Mugler

Difficile de parler de son travail de façon classique. On ne peut, par exemple, disserter sur les tissus qu'il utilise : vinyle, cuir, lainage, dentelle, velours, voile, plume, lycra, organdi, fourrure, métal, daim, résille, ... tout se qui est susceptible de se couper et s'assembler lui est passé dans les mains. Certains partent du tissu pour imaginer des modèles, lui imagine ses modèles et plie la matière à ses rêves. Rien n'est trop fou, rien n'est trop extravagant. Ses défilés sont des spectacles de trois-quarts d'heure qui réunissent jusqu'à 6 000 personnes. Il loue le Zénith et Jerry Hall, Diana Ross, Ivana Trump, Sharon Stone présentent ses collections. Pour les 20 ans de sa maison de couture, il s'installe au Cirque d'Hiver.



Défilé Thierry Mugler 1995, au Cirque d'Hiver
source photos : The Fashionanthology Blog

Chez Mugler, les mannequins défilent en groupe, forment des scènettes, se transforment, fument, font la moue. On est loin des portemanteaux glacés qui hantent aujourd'hui les podiums. En 1987, des mannequins noires ouvrent les 8 premières minutes de son défilé Printemps Eté 1988 (et un peu plus loin dans le défilé,  elles déambulent en mangeant des gâteaux au chocolat!). Il n'hésite pas non plus à mélanger hommes et femmes sur le podium. La recherche des maquillages et des coiffures est inimaginable. Ils théâtralisent, bien avant que Dior ne le fasse, les tenues. Etre maquilleur ou coiffeur sur un défilé de Mugler devait être une sacre carte de visite.

Comme Alaïa, dont il était proche, Mugler veut créer des choses extraordinaires. Peu importe le temps et le prix. Il veut du beau, du magnifique, de l'époustouflant. "Travailler avec Thierry Mugler était un des grands moments de ma carrière, confie le corsetier Mr Peal à The Independant. C’était complètement extrême, on pouvait employer trente-trois personnes pour créer un corset, travailler vingt-quatre heures par jour, faire douze essayages, on faisait bien les choses, sans être pressés. »


dessins de Thierry Mugler

On se rue à ses présentations comme on irait à Rolland Garros mais il passe pour un doux dingue dans le milieu. Rappelez-vous qu'on est dans les années 80 : Karl L. est encore obèse et il vient de virer Inès de La Fressange qui fait la Marianne, Galliano use ses jeans sur les bancs de l'école et la maison de Martin Margiela n'ouvrira ses portes qu'en 1988. Il faut attendre 1997 et l'adoubement de la Chambre syndicale de la couture qui l'accueille comme membre invité pour que le monde de la mode le reconnaisse comme un grand couturier.

Cette nouvelle silhouette féminine aux épaules sur-lignées, à la taille ceinturée et aux hanches arrondies devient un symbole des années 80. Son tailleur à la jupe entravée aux genoux reste un gimmick de la mode, ses vestes à taille de guêpe aussi. Mais c'est un parfum qui impose son nom au grand public. Depuis 20 ans, Angel ne laisse personne indifférent. Addictif pour les unes, écoeurant pour les autres, la petite étoile de cristal reste l'un des parfums les plus vendus au monde. Mugler voulait retrouver les odeurs de barbe à papa et de fête foraine. Avec de l'abricot, du chocolat, de la vanille, de la pêche, du caramel, des fruits de la passion de la mandarine, c'est peu dire qu'Angel est un parfum gourmand. Il tranche avec les parfums de l'époque et il inspirera toute une série d'autres, comme le fameux Lolita Lempicka. C'est surtout une prouesse technique : le flacon en forme d'étoile a demandé 2 ans de travail à une maison de verrerie pour maîtriser sa fabrication en série et la couleur bleue est une première pour un jus. Angel est lancé en 1992 en partenariat avec Clarins. Une dizaine de fragrances ont été déclinées du parfum originel. Il sera suivi d'Alien, Womanity, Innocent, puis d'A*Men pour les hommes.







En 2000, au bord de la dépression, Mugler quitte sa maison de couture et se consacre à sa passion : le spectacle. Thierry Mugler a pratiqué la danse plusieurs années et le milieu du spectacle est son meilleur élément. Il a d'ailleurs dessiné des costumes de scène pour Mylène Farmer et Boy Georges, ou le Mac Beth joué à la Comédie Française. L'ancien danseur devient le roi du body-building et se met au vert. Il photographie, dessine,  créé des costumes, baigne dans la paillette mais se garde des projecteurs, bref, il est heureux. Et il le dit (cf sa phrase d'introduction).




Fermée en 2003, la maison de couture Thierry Mugler est rouverte en 2008. Rosemary Rodriguez puis Nicola Formichetti se succèdent à la création. Malgré la présence de lady Gaga au premier défilé, les collections Mugler dessinées par Nicola Formichetti sont peu convaincantes. Trop premier degré. Il ne suffit pas de faire dans le genre vaguement futuriste ou pseudo avant-gardiste pour faire du Mugler. La femme à l'armure métallique n'est qu'un symbole utilisé par Mugler. Il a aussi créé des femmes-fatales intemporelles, des femmes-insectes, des Maléfiques 15 ans avant le film. Il n'est pas avant-gardiste, il est visionnaire, ce qui est bien différent. Comme Alaïa (encore, pardon!), il ne voit chez la femme que fantaisie, séduction, force, caractère. On est loin, très loin, de la femme-objet ou de la femme-consommatrice. La femme Mugler fait ce qu'elle veut, comme elle l'entend.

Pour continuer le projet de Mugler sans le caricaturer, il faut se demander comment, en 2014, s'exprime une femme forte. Et ce n'est certainement pas en se baladant habillée avec un chapeau pseudo Cardin ni avec le cheveu plat et une mine de cadavre. J'ai hâte de voir la future collection de David Koma pour Thierry Mugler Couture : le styliste géorgien, qui vient d'être nommé directeur artistique, présente sa première collection en septembre.

« A l’inverse de Saint Laurent qui accompagne le corps, lui recrée un corps. On appelait Vionnet pour une robe en biais, Azzaro pour une robe disco drapée et Mugler pour le tailleur de pute incroyable. On aurait pu penser que ça reste le truc d’une époque, d’un seul moment, comme Montana par exemple, mais c’est devenu un statement. Il n’y a qu’à voir Lady Gaga pour comprendre que c’est encore actuel. »  
Aymeric Bergada du Cadet, avril 2014, in Standard Magazine.


Pour aller plus loin :
Un portrait très touchant dans Paris Match  (dont est extraite la citation en exergue de cet article) 
L'excellent article de Standard Magazine
         Le Pinterest de Thierry Mugler

         Le site officiel de la Maison Mugler 

        Le défilé intégral de la collection Printemps-été 1997 de Thierry Mugler. Il dure 45 mn mais ça vaut le coup de se poser et de le regarder en entier. Franchement, c'est stupéfiant : dès 1'25, j'ai pleuré d'admiration devant les nervures dans le dos du tailleur gris. Quant aux mannequins, mon Dieu... Pourtant, je pense qu'aujourd'hui, elles se feraient refouler de beaucoup de castings : trop vieilles, trop de formes, pas assez dépressives. 

stelda

21 commentaires:

  1. Bel article sur TM, qui nous rappelle et fait regretter le temps des défilés vraiment émouvants. Rendez-nous les Yasmine Lebon, Linda Evangelista, Tatiana Patiz et autres Christy Turlington... Aujourd'hui, des vrais Top qui aient une gueule (et un corps), il ne reste plus guère que Gisèle, et Daria Werbowy, je trouve....Et j'oubliais: Bianca Balti!!!!

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    1. Daria a un vrai charisme. En tout cas, en photos, elle en jette!

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  2. Magnifique article, effectivement j'ai découvert Thierry Mugler il y a un an environ, avant je ne connaissais que le parfum ! Dès que j'ai le temps, je visionne le défilé ! Merci pour ce travail de qualité Stelda et ce partage !

    Estelle
    lamodeestunjeu.fr

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    1. Je t'en prie, Estelle. J'espère que le défilé te plaira ;-).

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  3. Merci pour cet hommage à un styliste hors normes qui aurait marqué son époque. C'était un artiste complet avec un sens de la mise en scène. Vous avez raison, la vidéo est extraordinaire et nous laisse un regret de ne pouvoir porter ces chef-d'oeuvres au quotidien...Par contre, son parfum Angel, nous ne le supportons pas, il nous mal à la tête, et pourtant, l'une de nous deux est restée fidèle à Opium, un parfum guère plus léger !
    Bravo pour ce post !

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    1. Merci à vous deux :)
      C'est vrai qu'Opium est très capiteux mais ce n'est pas du tout le même style de parfum. Preuve que lorsque l'odeur qui nous séduit, peu importe l'intensité.

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  4. Et bien moi aussi je ne connaissais que le fameux parfum et les horribles sacs qui font cheap, je ne connaissais absolument pas tout le travail couture de l'artiste!
    Bisou

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    1. Ces sacs, quel gâchis, franchement... Je suis contente de t'avoir partagé tout le reste, alors. Bisous!

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  5. C'est un bel hommage. Je garde toujours en tête ces créations : elles sont tellement typées.

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    1. C'était fait pour des femmes qui ont du chien (et pour donner du chien aux femmes)

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  6. C'est intéressant ton article j'ai appris plein de choses. Je fais partie de celles qui n'aiment pas Angel, trop de fruits et légumes sans doute !!!!

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  7. Honnêtement, je n'ai jamais été sensible au style Mugler, pourtant, j'ai laaaargement l'âge pour avoir vu des extraits des défilés aux 20h de l'époque, tout comme ceux de tous les autres couturiers... Je n'étais pas sensible non plus au style de Montana, mais après avoir vu un reportage récemment (Loïc Prigent, je crois), j'aurais tendance à avoir un faible plus pour sa personnalité (grave torturé - et drogué - et tellement fragile), et puis il a eu 2 dés d'or !
    Et alors le parfum Angel, comment dire... c'est juste impossible pour moi, mais clairement ça le met à l'abri du besoin jusqu'à la fin de ses jours !

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    1. Montana est aussi une ancienne idole oubliée. J'ai trouvé le geste d'Eric Tibusch, qui l'a invité sur son propre défilé, très touchant. Le bel article des étudiants de l'IFM en parlait :
      "Autrefois adulé, aujourd’hui presque oublié. Quand on pense au créateur Claude Montana, on imagine les défilés, l’énergie et l’exubérance des années 1980. La réalité est plus trouble : l’ancienne icône des golden eighties, visiblement usé, promène chaque jour sa silhouette fantomatique aux alentours du Palais-Royal à Paris. Les créateurs de mode meurent vite, plus vite que les sportifs ou les artistes du monde de la chanson, du cinéma ou de la littérature. La mode est une épreuve d’endurance qui épuise ses créateurs au fil des saisons. Un sport de combat particulièrement dur, avec beaucoup de morts et de blessés. "
      Un article qui m'a bouleversée parce que oui, la mode, c'est du sang et de la sueur 360 jours pan pour 5 jours de paillettes et d'une joie incroyable : avoir donné naissance à un rêve, qui, peut-être, rendra heureuses des femmes (et des hommes!)

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    2. Tu as raison Stelda, sur tes conclusions, n'oublions pas aussi la déchéance du très talentueux John Galliano.

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  8. Wow, votre article est riche, complet, et me rappelle de très bons souvenirs, les yeux écarquillés devant le talent de Mugler. Grand merci à vous. Je file regarder le défilé ! :-* - Nina

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    1. Merci beaucoup Nina. Bon défilé!

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    2. Je me suis régalée, en effet, mille mercis ! N.

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  9. Merci Stelda pour ce vibrant hommage, j'ai toujours été fan de TM, aussi bien de ses créations couture ( que je n'ai malheureusement jamais eu les moyens de me payer), que de ses parfums.
    Je les ai tous portés, Angel mon premier coup de cœur, je l'ai mis des années, puis tous les autres... aussi bien toute la gamme basic femme que toute la gamme basic homme, A Men, B Men....( sauf les colognes ).
    Je commence à m'intéresser aux déclinaisons, viens d'acheter le A Men malt... et il y a une version coffee qui va certainement m'interesser ( oui j'aime les parfums orientaux, boisés..).
    Demain j'irai lire tous tes liens et surtout le défilé, merci

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  10. Je viens de regarder le défilé, tu as raison c'est à pleurer d'admiration. Pour moi personne ne lui arrive à la cheville.
    Côté création et extravagance, Galliano quand il était chez Dior et Jean-Paul Gaultier me font encore rêver.

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    1. Je suis contente que le défilé t'ait plu. Merci beaucoup Murielle :)

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