Le point sur la cosmétique ethnique


Le fichage ethnique est interdit en France et c'est heureux. Pour autant, le marketing ethnique, ou marketing multiculturel, s'y développe férocement depuis quelques années. En cosméto, en particulier : les grands groupes lancent des gammes de produits pour peaux noires / peau asiatique, de petites marques inconnues s'y consacrent entièrement. Et l'explosion des boutiques en ligne a fait tomber les dernières frontières. On trouve des dizaines de produits adaptés, vendus par des marques coréennes, marocaines, américaines ou sud-africaines. Mais est-ce que ça vaut le coup ? Est-ce un vrai progrès ou est-ce qu'on nous prend (encore) pour des quiches ? 

Pour en avoir le coeur net, j'ai posé la question à 3 spécialistes : un dermatologue, un docteur en pharmacie maître de conférence en sciences physico-chimiques et ingénierie appliquée à la santé et enfin, le consultant scientifique de plusieurs grandes marques (L'Oréal entre autres). 

Les peaux blanches, méditerranéennes, noires ou asiatique demandent-elles réellement des soins différents ? Si oui, lesquels ? Si non, doit-on simplement s'en référer à son type de peau (peau sèche, grasse, etc) ? Et pour les cheveux ?


Pour Emilie Munnier, docteur en pharmacie et responsable de la licence de cosmétologie industrielle à l'Université de Tours "bien sûr, il y a un peu de marketing derrière tout ça, avec l'ouverture vers de nouveaux marchés négligés jusque là : le marché asiatique en plein boom, le marché africain en perspective. (L'Oréal y a augmenté de moitié ses ventes entre 2012 et 2013). Cependant, il existe de réelles différences physiologiques et structurales entre les peaux noires, par exemple, et les peaux caucasiennes."


Pour autant, les peaux demandent des soins différents selon leur origine. Les 3 experts m'expliquent que la couche la plus superficielle de la peau, appelée couche cornée, si elle n'est pas plus épaisse, est plus dense dans le cas des peaux noires, ce qui peut modifier la pénétration de certains actifs souligne Emilie Munnier. Le dermatologue Gabriella Georgescou parle des risque de folliculites : "le poil (et le cheveu) pousse en tire-bouchon, il a du mal à percer la peau". Les peaux foncées ont donc besoin de gommages réguliers.

Les pathologies dermatologiques observées sur les différents types de peau (noires, asiatiques, caucasiennes) sont également différentes, avec des localisations différentes (ex : acné de la nuque sur les peaux noires). D'où l'intérêt de tester les cosmétiques sur la clientèle visée : l'entreprise tourangelle Spincontrol, spécialisée dans le test de produits cosmétiques, s'implante actuellement en Indonésie. 


"Les produits doivent vraiment être adaptés pour devenir des best sellers, poursuit Emilie Munnier. L'exemple le plus parlant est la couleur des fonds de teint. Pour les soins, il s'agit plutôt d'influences culturelles. En effet, en Asie, les femmes recherchent en particulier des produits blanchissants sans danger, qui vont unifier leur teint et leur permettre de s'approcher le plus possible de la couleur d'une peau caucasienne. Les BB crèmes (blemish and balm) ont été développées spécifiquement pour ces peaux, puis déclinées pour les peaux caucasiennes ou foncées. Les produits éclaircissant sont très prisés en Afrique, le gros problème des femmes étant l'hétérogénéité de pigmentation de leur peau. Il est temps que l'industrie cosmétique se penche sur cette question, car certaines femmes utilisent encore des produits très dangereux, avec des conséquences parfois dramatiques. Les substances contenues dans ces produits peuvent créer des lésions irréversibles à la peau. Or les analyses effectuées sur plus de 160 produits ont mis en évidence des proportions élevées de produits non conformes à la réglementation des produits cosmétiques et dangereux pour la santé en raison de la présence de substances interdites : environ 30 % en 2009 et 40 % en 2010 (source : Anms). Le consultant Etienne Soudant se souvient avoir vu des produits vendus à la sauvette à Barbès ou  dans le 10° arrondissement. Vendus à la dose, dans de petits sachets de plastiques, la composition était bien sûr impossible à retrouver. " Les fabricants peuvent avoir un rôle pédagogique. Qui sommes-nous pour lutter contre les envies des femmes ? En revanche, les grands groupes peuvent leurs fournir des produits à la composition saine.


Les peaux noires, protégées naturellement du soleil grâce à la mélanine qu'elle contiennent, vieillissent beaucoup moins vite que les peaux caucasiennes. Si elles ont besoin, comme toutes, de produits solaires, pas la peine de développer des anti-âges spécifiques. De même que du point de vue hydratation et production de sébum (peau grasses), les peaux de différentes "couleurs" sont relativement proches. Il n'est donc a priori pas nécessaire de développer des soins ciblés.


Les peaux asiatiques sont plus fines et fragiles. Elles vont s'orienter vers des compositions ultra douces, sans parfums, type La Roche Posay.


Pour ce qui est des cheveux, la structure est également visiblement différente. L'Oréal a instauré 8 classes de cheveux : du cheveu très frisés chez les africains au très épais et très raides chez les asiatiques. Là encore, les challenges cosmétiques répondent plutôt à des modèles culturels :

- Les femmes aux cheveux africains ont tendance à lutter contre leur nature en lissant leurs cheveux, en les attachant, ce qui entraîne des cas typiques "d'alopécie de traction", c'est à dire une perte de cheveux, particulièrement au niveau des tempes et du front. Des produits spécifiques, permettant de discipliner les cheveux très frisés en douceur sont nécessaires. Enrichis en huiles ou beurre, ils ne sont pas adaptés pour d'autres types de cheveux car ils peuvent les graisser. Gabriella met en garde contre certaines pratiques : le lissage doit être limité à 2 ou 3 par an, maximum. Qu'il soit chimique ou mécanique car le cheveu frisé est plus fragile et cassant. Etienne pointe le tissage et le port de perruques : deux pratiques très répandues mais qui abîment énormément le cheveu et le cuir chevelu en l'empêchant de respirer.

- en Asie, les femmes ont toutes les cheveux noirs : pour se distinguer les unes des autres, elles souhaitent les colorer. Le résultat est souvent très léger et peu durable et le recours à la décoloration est fréquent. Les fabricants travaillent donc à des teintures qui pénètrent le cheveux asiatique, très épais et très lisse.  



Des produits adaptés ont donc leur intérêt. Mais doivent-ils pour autant être estampillés "ethniques" ? Je me pose la question et je ne suis pas la seule. En 2003, le sociologue Gérard Mermet accusait déjà le marketing ethnique de jouer sur le communautarisme. Certains parlent de marketing affinitaire, ce que je trouve déjà plus juste. Avoir des affinités avec une culture ne limite pas le consommateur à sa couleur de peau. Présupposer que si t'es noire, tu aimes l'odeur du monoï ou le coco, c'est un peu réducteur, non ? Je suis sûre qu'il y a des femmes à la peau noire qui préfèrent largement la violette, la rose ou la fleur de lotus.


On peut aussi partir du principe que la nature fait bien les choses et que chaque peuple, selon son lieu de vie, trouve dans la faune et la flore ce qui lui convient. Le débat n'est qu'à ses débuts. Une chose est sûre, ça reste du business. Les marques occidentales ne se sont intéressées aux envies et/ou aux besoins des femmes non caucasiennes qu'une fois le marché "mature". 
« Aussi longtemps que l’ethnie et la race continueront d’être débattues en France aux niveaux politique et philosophique, il n’y aura aucun espace pour le pragmatisme commercial que réclame le marketing ethnique», disait franchement le PDG de la big agence de pub Havas. 

Mais le pompon du mauvais goût revient à Arnaud Delannoy, qui stipule : "On parlera plutôt de street marketing." Ok, on peut donc partir du principe que les Chinois, les Noirs et les Arabes sont dans la rue et uniquement dans la rue ? L'Oréal a préféré utiliser le terme géocosmétique. Pour une fois, je suis d'accord avec eux.


Les 5 profils ethniques définis par une étude en 2005 :

  • les «Positive thinkers» qui correspondent aux jeunes cadres dynamiques parfaitement intégrés et très renseignés sur leur mode de consommation.
  • les «Et Et» qui sont des personnes de la classe moyenne qui revendiquent une double appartenance culturelle.
  • les «Sam’suflt» qui sont dans une démarche revendicative forte et qui ne souhaitent pas être différenciés par leurs origines ethniques.
  • les « Révoltés identitaires» qui se subdivisent entre d’une part, les instruits qui veulent passer d’un repli subi à un repli choisi et d’autre part, les membres issus d’un milieu plus populaire qui ont adopté une contre culture révoltée que l’on retrouve dans les médias.
  • les « Comme au pays» qui ont conservé la quasi-totalité de leur mode de vie de leur pays d’origine et qui ont un mal réel à s’intégrer dans le pays d’accueil.

Pour aller plus loin :
Le marketing ethnique, et le principe républicain
Vers un label de qualité pour les produits "spécial peaux noires" ? 

stelda

15 commentaires:

  1. Super intéressant cet article ! Merci !!

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    1. Merci :) C'a été très intéressant à préparer! J'ai appris une foule de choses.

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  2. C'est un article complet et intéressant.

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    1. Merci Christine. Il aurait pu être 100 fois plus complet mais j'ai tenté de cerner l'essentiel.

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  3. Article très intéressant en effet. Je pense que selon notre provenance géographique, le corps (la peau, les cheveux) s'est adapté aux conditions (climatologiques etc) notamment et on constate des différences entre une blanche, une noire ou une asiat au niveau de la peau. Après comme pour n'importe quel domaine, il y a du business. On nous crée des besoins mais c'est valable pour tout, la bouffe, les lessives etc. Après chacun doit savoir faire la part des choses. En tout cas, moi ça ne me choque pas, je sais que c'est du marketing et je n'y vois pas une forme de fichage ethnique. Après quant à l'efficacité, il faudrait qu'une blanche teste un produit destiné aux peaux noires par exemple et vice versa.

    xx

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    1. Tout à fait. L'un des experts me disait que les peaux africaines souffraient sous un climat tempéré : elles ne sont pas adaptées pour ces climats-là. Du coup, elles demandent des soins encore différents.
      Le marketing ethnique s'est d'ailleurs niché dans tous les secteurs de la consommation :). Et le marketing en général cherche sans cesse de nouvelles niches, puisque la plupart de nos besoins sont déjà largement pourvus et que la concurrence est énorme... il faut trouver de nouveaux moyens de vendre :D.
      J'ai la peau méditerranéenne. J'ai testé des produits "peaux noires", des produits "peaux blanches" et d'autres "magrébin", franchement, je n'ai pas vu d'effet particulier. Certains produits convenaient, d'autres non. C'est pour ça que cette segmentation me laisse un peu dubitative.

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    2. Tout a fait ok
      Pour ma part bcp de résultats naturels avec les grandes marques cosmétiques américaines ou européennes qui jouissent de vrais progrès techno cosmétique Lol
      Normal car plus de moyens financiers!!!!
      Ps: il faut juste avoir une réelle connaissances des mots cosmétiques et l adapter
      Pour les peaux mates à sombres bcp de gommage régulier et adapter à son grain de peau . Et surtout adoptez les protecteurs solaires notre peau n est pas épargnée !!!
      En plus c est bien mieux que le mixa ou niveau sur le visage 😂

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    3. Non les peaux africaines souffrent sous un climat tempéré laisse moi rire!!!
      (1)La dureté de l eau ( calcaire) se voit plus sur les peaux mates a sombres
      (2) désuniformation du teint, apparition de tâches ou de cicatrice de bouton plus voyant !!! J ai une plus belle peau au soleil car oui .. Je bronze donc quant il part ce bronzage où là là
      (3) les excuses ethniques ça va bien ....

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    4. Bonjour Milo,
      Tu as raison : beaucoup de personnes à la peau mate, métissée ou sombre se pensent protégées des coups de soleil. Hélas, non!

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  4. Hello ! Je pense qu'il y a en effet des besoins différents, parfois : la couleur du fond de teint, la nature des cheveux..
    Et dans les réponses apportées, souvent du gros foutage de gueule : ça on s'en rend compte quand on décide de lire les étiquettes et de ne plus faire confiance à une marque/image de marque combinée à un pitch plus que tentant "crème anti rougeurs"/" masque ultra réparateur "/ " shampoing "doux""/. Non je ne pense pas qu'une réponse à la crème pétrochimique puisse réponde à un besoin spécifique d'une peau d'un cheveux de type caucasien ou black. Je ne f fais pas de leçon hein, je sois la première à m'être faire avoir par Averne ou René Fouterneur. .
    Sur ce : Bises

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    1. Ahah, tu es une revenante de Furterer ? Qu'est-ce qu'il baratine bien, lui! Ils sont super forts. A les écouter, leur shampoing, c'est de la mousse d'avocat. Pour un peu, tu la mangerais au petit déj'. Bisous, bisous!

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  5. Hello Stelda,
    J'ai failli passer à côté de cet article très intéressant !
    J'ai un point de vue un peu différent quant aux besoins "généralisés" selon les types de peaux : en effet par exemple dans ma famille, nous avons tous des peaux différentes. Plus ou moins fines, claires, grasses, sèches, réactives, etc...
    Rien que dans le type "afro" il y a une diversité incroyable surtout quand on se penche sur les îles créoles par exemple: à cause des métissages, il y a des types de cheveux très différents (en plus de la différence cheveux naturels vs cheveux traités chimiquement). Et même dans une seule chevelure on peut avoir 3-4 natures de cheveux: très frisés et très secs à certains endroits et plus souples et légèrement bouclés à d'autres...
    Je vois surtout deux domaines où c'est difficile de trouver des produits adaptés (et sains): en maquillage pour le teint et bien sûr pour les cheveux.
    Bonne semaine et merci pour cette enquête ;)
    Bises <3

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    1. J'avais hâte d'avoir ton avis, Ellen :)
      Il y a même 30 à 40 types de peaux identifiés, donc, oui, difficile de mettre tout le monde dans le même panier :D. Et même dans un type de peau, chacune réagit différemment. Et il y aussi d'autres facteurs qui entrent en jeu : le climat, l'alimentation, le stress, les modifications hormonales, etc. Je voulais juste creuser au-delà du discours des marques. Et savoir si ce nouveau marché était un plus pour les clients. Conclusion : ça l'est parce que les fabricants ont (enfin!) intégré que tout le monde n'était pas pareil... Ils pensent donc à élargir leurs gammes. Mais c'est un peu du foutage de gueule quand même parce que le beurre de karité est top pour toutes les peaux sèches, par exemple. Je tartine Lutin n°3 avec, et il adore et ça lui réussit très bien! Et une de mes copines métisse ne jure que par la Lipkar de La Roche Posay, tout comme ma belle-soeur (qui est blanche pur jus). Les fabricants devraient donc s'attacher aux différences de peau et non de couleur.
      Je n'ai pas du tout abordé le maquillage parce que là, c'est évident qu'il faut s'adapter aux couleurs de peaux. C'a longtemps été un vrai calvaire pour les non-caucasiennes qui ne trouvaient aucun de fond de teint ni rouge à lèvres adaptés.
      Bises!

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  6. Bonjour,

    je suis tombé sur ton article donc j'ai souhaité le commenter. Le terme ethnique pour qualifier les non caucasiens est juste insultant. Nous sommes tous "l'ethnique" de quelqu'un. Pour moi un Caucasien ou un Asiatique est "ethnique".
    Je pense que les soins spécifiques ne sont pas forcément du marketing. Le baume que j'applique sur mes cheveux crépus ne conviendrait pas forcément à type de cheveu caucasien, car cela serait trop riche et trop gras. Mais une fille aux cheveux lisses qui se décolore les cheveux trouveraient peut-être un intérêt dans mon baume. Pareil, si je souhaite formuler un huile capillaire pour cheveux africains, je privilégierais les huiles nourrissantes, alors que si je formulais pour des cheveux caucasiens, j'opterais pour un mélange d'huiles estérifiées combiné à des huiles végétales légères et pénétrantes.

    Pour la peau par exemple, la frontière est moins tranchée que pour les cheveux. J'ai la peau grasse et mon type de peau est plus proche d'une peau blanche grasse que d'une peau noire sèche. Mais là encore je pense que les produits destinées aux peaux noires ne sont pas forcément que marketing. La peau noire crée des tâches et il faut des soins spécifiques pour les traiter. La peau noire n'aime pas l'eau calcaire d'Europe car l'eau en Afrique est beaucoup plus douce. Donc il faut des soins qui vont aussi compenser cela. L'huile de melon du Kalahari par exemple est connue en Afrique pour donner de l'éclat aux peaux noires. Cela ne signifie pas qu'une peau blanche ne peut pas utiliser cette huile, cela signifie qu'elle ne sublimera pas aussi la peau blanche.

    En conclusion, je pense que les produits adaptés à l’ethnie de chacun ne sont pas que marketing (il faut du marketing pour vendre!) mais sont des produits qui répondent à une demande bien existante. De plus la mise en beauté des femmes noires n'est pas la même que celles des femmes blanches ou asiatiques, et donc il faut créer des produits spécifique afin que tout le monde s'y retrouve et soit content.

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    1. Merci d'avoir pris le temps de ce long commentaire :) C'est en effet pour toutes ces raisons que je préfère le terme de "géocosmétique", que je trouve bien plus délicat et adapté à la réalité.

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