Valérie Trierweiler, la mode et la politique



Valérie Trierweiler change (enfin) de look.
Il était temps : même Courrier International souligne que "lors des premiers voyages officiels du couple Hollande-Trierweiler, elle avait autant d’allure qu’une maîtresse de maison de la bourgeoisie. C’est d’ailleurs habillée comme une riche provinciale qu’elle a fait son entrée à la Maison-Blanche pour rencontrer les Obama." *

En juillet, le coming out du styliste personnel de Valérie T. avait laissé la planète mode sous le choc : personne ne voulait croire que la dame était conseillée par un professionnel. Le conseiller en question, Amor Ouni, très fier de ses références (Rihanna, Kanye West...) mais peut-être conscient que son œuvre élyséenne n'était pas à la hauteur des enjeux, avait précisé : "Valérie Trierweiler a des goûts affirmés et une idée précise de ce qui lui va. Comme pour son mari qui a choisi la normalité comme mot d’ordre, elle désire un look normal chic". Il faudrait qu'il parvienne à expliquer à la dame la nuance entre normal et banal. Et rafraîchisse un peu son idée du chic, manifestement restée bloquée en 2002.

Au vu des dernières collections Saint-Laurent, il était bien sûr préférable de changer de fournisseur. Val' passe donc avec armes et bagages à l'ennemi : Dior. On l'a aussi vue en Chanel lors d'une réception officielle au Japon.
A priori, on se fiche comme de notre première socquette des marques choisies par la Première Dame. En réalité, ce non-sujet peut être le signe d'un changement plus profond. Quitter Saint Laurent pour Dior n'est pas anodin : derrière les robes, il y a une marque, un état d'esprit et enfin, des hommes d'affaires.

En politique, les chiffons sont des étendards. La tenue de la femme d'un homme d'Etat est donc très symbolique et elle ne pourra jamais être regardée normalement.

Culturellement, Yves Saint Laurent et Christian Dior ont modelé deux visions opposées de l'élégance féminine :
  • Saint Laurent, c'est la face gauche, un peu bobo, rock'n'roll, sexe, drogue et glauque. C'est la femme transfigurée, déguisée en homme, libérée, androgyne, voyageuse, métissée, celle qui ose le smocking, le trench, les vêtements de mec. C'est aussi la bourgeoise qui s'encanaille et se fait une certaine vision (parfois faussée) de la modernité absolue. C'est Catherine Deneuve.
  • Dior, c'est la femme fantasmée, la poulette de luxe, la femme de banquier retranchée dans son hôtel particulier et bien éloignée des contingences de la populace. La collection New Look avait fait scandale en 1947 : à une époque où les Français étaient encore rationnés (jusqu'en 1949), ces robes nécessitèrent jusqu'à 80 mètres de tissu! Un gâchis invraisemblable et méprisant pour beaucoup mais cette folie séduisit les autres et particulièrement les étrangers (américaines en tête). Dior est le reflet d'un luxe démesuré mais très WASP. C'est Nathalie Portman.
Yves Saint Laurent, entouré de Betty Saint et Loulou de la Falaise

Saint Laurent transposait son amour des hommes sur les femmes et voulait exacerber les canons des deux sexes. Il puisait son inspiration chez les peintres et dans les vêtements exotiques.

Dior, plongé dans le passé, recréait l'image de sa mère qu'il adorait, imaginant une beauté illusoire, cerclée de froufrous, de fourrures, de diamants.

Structurellement, Dior et Saint Laurent sont des frères ennemis :
  • Saint Laurent appartient au groupe Kering (ex PPR, Pinault-Printemps-Redoute) fondé par François Pinault.  Avec à peine (!) 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires, Kering est largement distancé financièrement par LVMH (28 milliards de CA). En revanche, Pinault choisit généralement des marques qui ont une patte artistique forte et touche peu à leur identité (Gucci, Christopher Kane, Boucheron, Alexander McQueen, Balenciaga, Stella McCartney, Bottega Veneta...). Pinault, qui a quitté l'école à 16 ans, est le fils d'un marchand de bois. Il a toujours eu en horreur les élites, les obligations sociales et a investi la plus grande partie de sa fortune dans des œuvres d'art : sa collection compte près de 2000 pièces.
  • Arnault, qui a racheté Dior dès 1984, opte plutôt pour des marques en déclin mais possédant un fort potentiel (Louis Vuitton, Kenzo, Céline...). Il leur injecte ensuite des recettes de développement industriel bien rodées et les transforme en bêtes de course. Cette méthode lui a permis de prendre la tête de LVMH, la plus belle écurie de luxe internationale et de devenir la 10e fortune mondiale. Contrairement à Pinault, Bernard Arnault est diplômé de la plus prestigieuse école française : Polytechnique.
Christian Dior et deux de ses mannequins

Deux parcours, deux visions, deux personnalités que tout oppose. Les deux hommes d'affaires sont  rivaux depuis toujours et particulièrement depuis que Pinault a raflé Gucci au nez et à la barbe d'Arnault.

On aurait donc tort de croire que tout ceci se résume à une histoire de chiffons plus ou moins seyants. Substituer Dior à Saint Laurent, c'est se rapprocher du numéro un du luxe, de la première fortune française, du témoin de mariage de Nicolas Sarkozy. C'est favoriser l'héritier d'une famille d'industriels au détriment d'un self-made man. C'est choisir une marque qui a toujours fasciné les Etats Unis et dont les égéries sont de grandes stars hollywoodiennes.

C'est mettre les pas de Valérie Trierweiler dans les pas de Bernadette Chirac, de Carla Bruni. Et ceux de François Hollande dans les pas de leurs époux ?

Merci à Cécilia qui m'a signalé ce séisme modesque

* Je garde une honte cuisante de ce sac Le Tanneur offert à Michelle Obama. Cette bévue jetait l'opprobre sur toute les modasses françaises. Un sac Le Tanneur... pourquoi pas un sac à course pliable Monop' ? La banalité, le manque de goût et de finesse dont témoignait ce présent m'ont sidérée. Sans glisser vers un Vuitton ou un Hermès (somptuaire, vu et revu), aucun conseiller n'a pensé que le sac d'un jeune créateur français aurait été bien plus adapté à Michelle Obama ? 
Bref, il faut, d'urgence, une conseillère ès tendances et psychologie de la mode à l'Elysée. Elle pourrait aussi brûler ces abominables escarpins à plateformes so 2010 (voire 2008) dont Valérie T. use et abuse et qui lui font les pieds comme des enclumes.

stelda

28 commentaires:

  1. Stelda tu es ma journaliste politique préférée ;)
    Je me souviens de notre conversation enflammée au sujet de ce fameux sac Le Tanneur... On était toutes les deux remontées comme des horloges et j'ai su alors que nous serions amies.
    Petite question subsidiaire et je vais filer voir sur google : Madame Mitterrand s'habillait chez qui ? Pas souvenir d'une élégance particulière mais ma curiosité est piquée du coup.
    Bisous
    Anne

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    1. Merci Anne :). Oui, je me rappelle notre discussion désolée! Danielle Miterrant était une fidèle de Torrente et Louis Féraud (aaah, Féraud... il mériterait un article!) mais elle misait beaucoup plus sur ses idées et on prêtait peu attention à ses tenues.
      Bisous, Anne

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  2. Je n'ai jamais compris comment cette femme qui est magnifique pouvait autant se louper question vêtements, bon quand on voit les références de son conseiller (à qui je ne confierai jamais mon cas ;-))...
    Et si tu postulais pour le job de conseillère ès tendances et psychologie de la mode auprès de la Première Dame ?

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    1. Tu m'étonnes! Rihanna est une icône de bon goût ^^. C'est une idée : je vais envoyer mon CV... conseillère à l'Elysée, ce serait la classe à Dallas. Merci, Chris :D.

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  3. Incroyable, quel brio dans cette démonstration politco-modesque, j'en reste coite !

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    1. Peut-être que j'ai fumé, va savoir... mais j'attends avec impatience les prochaines orientations politico-économiques du gouvernement ;-).

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    1. Merci Corinne. Affaire à suivre! On guette le collier Bulgari...

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  5. En même temps, toutes les apparitions officielles de VT (un peu la flemme d'écrire son nom en entier, désolé !) ont marqué un point essentiel: elle manque cruellement de goût et de culture mode. Je comprends qu'on puisse vouloir s'habiller "normal", sans excès, mais elle tombe systématiquement à côté. Il y a un problème au niveau des coupes qu'elle choisit, qui ne la mette absolument pas en valeur, ou des accessoires, comme tu le soulignes.
    Je suppose que la première dame est loin des considérations mode que nous aimons décortiquer au quotidien. Mais pour quelqu'un qui a une fonction publique, elle devrait être la première à savoir que l'apparence est importante, qu'elle véhicule une image, non seulement personnelle, mais dans son cas, celui d'un pays.
    Non mais le sac Le Tanneur, j'ai cru m'étouffer en voyant la photo lorsque c'est sorti...!

    En tout cas, je salue sa silhouette sur la première photo, qui est quand même plus pointue et moderne que tout ce qu'on a pu voir jusqu'à présent. Merci Valérie.

    Bises

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    1. C'est tout à fait ça. C'est toujours laid, on dirait un bûcheron. Entre le bûcheron et la potiche, il y a un juste milieu. Et en plus, elle est très belle, d'une beauté classique (comme Ségolène Royale, d'ailleurs... étonnant de voir des hommes choisir le même type de femmes, Sarko a fait la même chose...).

      Sur ce coup là, Raf Simons a vraiment assuré! Cette tenue est faite pour elle. Elle est très simple et l'adoucit. Merci, Raf!!!
      Bises!

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    2. PS : je propose la fondation d'un club anti-cadeaux-officiels-pourris...

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  6. Hello Stelda,
    Intéressante cette analyse politico-modesque ! J'ai vu un doc sur Dior la semaine dernière, et c'est vrai que la femme Dior véhicule une certaine idée de la mode.
    Le truc avec Valérie, c'est que comme elle n'a pas un sens aigu de l'élégance, quelque soit la marque, elle fera toujours des fashion faux-pas. D'ailleurs la robe qu'elle porte sur cette photo, je ne suis pas super convaincue : elle est trop longue je trouve et je n'aime pas cet effet de coupe en oblique...
    Affaire à suivre donc ;)
    Bises <3

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    1. C'est peut-être en contraste avec les catastrophes habituelles que j'apprécie cette tenue mais franchement, je la trouve parfaite. Un peu sévère mais la fente en biais et le noeud égaye la silhouette.

      Affaire à suivre : si ça se trouve, on aura droit à un grand n'importe quoi la prochaine fois :D.
      Bisous!

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  7. Le commentaire de Anne résume ce que m'inspire cette affaire de "première dame" (rien que le terme m'horripile). Personne ne se souvient de ce que pouvait bien porter Danielle Mitterrand. D'une part parce qu'elle se démarquait nettement de son président de mari, par des prises de positions affirmées qui devaient mettre plus d'un conseiller de l'Elysée en rogne, et que c'est que qu'on en a retenu bien davantage que sa presque coupe au bol de certaines années. D'autre part parce qu'on ne nous bassinait pas autant qu'aujourd'hui à cette époque avec la soi-disant première dame. Un syndrome US qui ne brille pas par une avancée des moeurs. Tout le monde se contrefout de ce que porte le "premier monsieur" de Germany, que l'on ne voit d'ailleurs jamais. Nul n'oblige VT à accepter ce rôle de représentation. Le vrai changement selon moi aurait été de se tenir à l'écart. De Twitter et du reste. Et de garder son look de bourgeoise un peu provinciale pour une vie demeurée privée.
    A part cet avis tranché et tranchant (qui n'engage que moi), bravo pour ton analyse Saint Laurent vs Dior, c'est en effet lourd de symbole et de conséquences en terme de puissance

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    1. Je suis complètement d'accord avec toi, Frieda. C'aurait été ça, la vraie révolution. Danielle Mitterrand et Bernadette Chirac ont eu l'intelligence de mener leur propre vie politique. Résultat : personne ne les a jamais traitées de potiches et on se fichait de leurs tenues. Elles étaient toujours soignées mais on s'intéressait plus à leurs réflexions qu'à leurs robes. Si tu n'as rien à dire (ou rien envie de dire), autant t'effacer. C'était d'ailleurs le sujet d'un deuxième article : tu m'as coupé l'herbe sous le pied!

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  8. Hi hi, j'ai parlé de ça la semaine dernière avec ma mère. Depuis qu'elle s'habille en Dior, Mom la trouve "mal fagotée"...
    Je me demande ce que cela révèle pour le coup! ;)

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    1. Haem, que ta mère vote à gauche ? Ou qu'elle est ultra-conservatrice (et ne jure que par Hermès) ^^. C'est rigolo, cette réflexion! Comme quoi, on a tous un oeil différent sur ce qu'est une tenue réussie (ou pas)

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    2. Bien vu, elle collectionne les foulards Hermès (mais genre vraie collection de malade) depuis ses 20 ans. Le seul "vêtement" de luxe qu'elle possède d'ailleurs! Pour la politique je ne peux pas répondre, sujet tabou! ;)

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    3. (Quand à moi je trouve la tenue de Valérie plutot chic mais je déteste cette mode des escarpins à plateau...)

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    4. Bien sûr que c'est tabou : parler vote sur un blog, ce serait très indiscret. Mais votons toutes pour la mort de ces plateaux!!

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  9. Merci pour ce cours de la mode - comme quoi la mode ne se résume pas qu'aux chiffons !
    Il est vrai, VT - on l'aime ou on l'aime pas - est une belle femme qui jusqu'à présent faisait vraiment nunuche par ses choix vestimentaires. Lorsque l'on choisit le devant de la scène, on doit jouer son rôle, même si cette people-arisation devient parfois grotesque. Mais ça fait parler, ça vend du papier et ça amuse la galerie, et soyons honnêtes, nous en faisons partie...
    Mais comme il y a du relooking présidentiel, il faudrait aussi rallonger la veste et les manches du costume de son compagnon, parce que lui, pour son physique il ne peut rien et ce n'est pas le plus important, mais il pourrait changer de tailleur...

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    1. La mode est l'expression de la société. C'était l'un des sujets fétiches de Bourdieu, on l'oublie souvent.. Quand je vois le mépris dans lequel on tient ce sujet, ça me met hors de moi. Le chiffon est futile, oui, mais il a tellement de sens qu'il faut aller au-delà.
      Pour Monsieur le Président, il aurait fallu le relooker avant la photo officielle : une catastrophe qui restera dans l'Histoire, a contrario du sac Le Tanneur.

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  10. Merci pour cet article super intéressant. Sympa cet explication mode et politique.

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    1. Merci Christine. Je suis contente qu'il t'ait plu ;-).

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  11. Il est génial cet article, j'adore son côté histoire de la mode mais pas que, intéressant le symbole et l'aspect économique des choses

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    1. La belle Val' m'a inspirée! Et Paris Match a sorti cette semaine un article sur Pinault "fils de paysan" ;-).

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  12. Article très intéressant car synthétique et riche en contenu. J'aime toujours autant te lire !

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