Les plumes de la gloire

détail modèle Serkan Cura

Et est-ce bien raisonnable de lancer une maison de couture en 2012 ? La réponse est clairement non.
Pourtant, s'il y a des maisons de couture qui ferment, d'autres ouvrent. Elles défilent en "off", comme au festival d'Avignon : on les trouve sur un calendrier non officiel, elles se démènent pour trouver un lieu, se faire connaître des journalistes et du grand public. Ces défilés sont très courus des jeunes photographes qui viennent se faire la main et des acheteurs internationaux des grands magasins qui chassent les étoiles montantes.

Le 3 juillet, Serkan Cura présentait sa troisième collection. Diplômé de l'Académie Royale d'Anvers en 2007, assistant de Gaultier pendant 4 ans, le styliste a fondé sa maison il y a quelques mois et consacre son travail à la plume et à la fourrure. Un fou, car le défi est double : ces deux matières sont aussi délicates à travailler, à porter qu'à entretenir et bien sûr, à trouver. 
J'étais assise à côté d'une dame souriante et un peu réservée, avec un très joli sautoir de perles à plusieurs rangs. Je lui ai demandé si elle était une cliente ou une acheteuse. "Je suis la maman de Marine", me confie la dame. "Elle est dans l'équipe de couturières de Serkan. Si vous saviez comme ils ont travaillé!..." Marine suit une formation de plumassière au Lycée Octave Feuillet. Dédié aux métiers de la mode, ce lycée professionnel forme également à la broderie, à la création de fleurs en tissus, à la corseterie. Serkan Cura y enseigne le travail de sa matière fétiche, la plume. Non content d'avoir choisi de créer des robes qui sont de véritables chefs d'oeuvre d'artisanat, il a à coeur d'encourager des jeunes à suivre une voie extrêmement difficile. Mieux : il leur donne envie.
La plume, il la taille, la frise, la cisèle, la peint, la teint et lui donne l'aspect de n'importe quelle autre matière : elle se transforme en givre, en lames d'acier, en paillettes de jais, en lambeaux de tulle. Puis, de plume en plume, il recrée des oiseaux.

10 modèles et le défilé était déjà fini. Je serai bien restée assise là, encore quelques minutes, à regarder glisser ces silhouettes extravagantes. C'était un moment hors du temps. On oublie le quotidien : la facture d'EDF à payer, les ampoules aux pieds, le nez qui coule, le patron qui envoie des mails à 4 heures du matin. On admire juste des robes immatérielles.

"L'une d'entre-elle a nécessité 3 mois de travail", me précise Serkan. Je parie que c'est la robe couleur de feu, celle dont les plumes finement taillées se dressent comme des flammes. Ma préférée.






All pictures : Shoji Fujii, source : Totem Fashion

En 2012, il a donné naissance à une femme-aigle aux ailes immenses :

"
La Robe" Serkan Cura from Christopher Morris on Vimeo.

Une fille pétillante comme un oisillon a surgi de la collection suivante :

Serkan Cura A W 2013 from Heypit on Vimeo.

Il y a encore des fous de mode, des vrais : voici un styliste qui veut fabriquer un morceau de rêve, une ouvrière de 17 ans qui veut faire un métier presque disparu... et ils rendent heureux des dizaines de personnes. Ce n'est pas seulement par la beauté des robes, c'est aussi par la preuve vivante qu'aller au bout de ses rêves peut être important. Pour soi et pour les autres.



A Marine, à Serkan. Merci.

stelda

24 commentaires:

  1. C'est magnifique. J'adore le fait que tu parles aussi de Marine. Merci pour cette decouverte!

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    1. Je trouve formidable qu'il y ait des jeunes prêts à s'engager dans leur métier par passion, à faire beaucoup de sacrifices, à travailler aussi dur. Et les petites mains sont pour moitié dans la réussite des couturiers ;-). Elles méritent bien cet éloge.

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  2. Oh c est très joli et c est vrai que cela fait voyager.
    Merci :)

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    1. Ne me remercie pas : je me suis régalée à repenser à ce défilé. La petite femme-esquimeau est trop mignonne, non ?

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  3. c'est sympa, mais elles me donnent chaud!! :-)

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    1. C'est le risque de voir les collections hiver en plein été! Les pauvres mannequins devaient transpirer, sous la fourrure...

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  4. Eblouissant de créativité. J'adore les plumes !

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    1. Moi aussi! On a peut-être été des oiseaux dans une vie antérieure ?

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  5. wow elles sont oufs ces robes !!! mais tellement importables, c'est ce qui me gêne parfois avec les défilés, on ne peut pas se projeter !

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    1. C'est vrai : là, c'est difficile de s'imaginer aller son pain avec :)

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  6. C'est fou peut être mais quel beau travail.

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    1. Oui, je ne savais pas qu'il y avait encore des couturiers qui pouvaient se consacrer à un travail aussi précis.

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  7. J'ai un peu de mal avec les chaussures, mais le reste est magnifique. Barbara aurait adoré (bon, c'est facile).

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    1. Les chaussures... bizarrement, c'est aussi ce qui m'a choquée sur tous les défilés que j'ai vu. Les pauvres mannequins... avec des talons de 24 cm, elles ne risquent pas de marcher trop vite, c'est sûr ^^

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  8. belle histoire, de la mode qui fait rêver et tellement belle !

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    1. Tu aurais vu comme la maman de Marine était fière de venir admirer le travail de sa fille, c'était émouvant. La mode, c'est aussi ces moments uniques :).

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  9. Réponses
    1. Je pense qu'il ira loin :). Je lui souhaite surtout de pouvoir, aussi longtemps que possible, continuer à travailler comme il l'aime.

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  10. De très très beau modèles, un vrai régal pour les yeux. Merci pour toutes ces images et cette lecture si passionnante.
    Bisous ma Stelda.

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    1. C'est très émouvante d'assister à la naissance d'un grand couturier. Je suis heureuse de pouvoir partager ces moments avec vous . Gros bisous Lille

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  11. Voilà le défilé dont tu m'avais parlé. C'est vachement bien!
    Pour les ouvrières, oui, sans elles rien n'existerait. On n'en parle moins dans la presse car l'aspect hystérique et fashion du créateur est plus "vendeur". Mais dans les ateliers, ne t'inquiète pas pour elles. Plus elles avancent en âge et en expérience, plus elles deviennent des stars.

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    1. Je crois que la robe Aigle de la première collection est ma préférée. Tellement graphique!
      J'aimais beaucoup l'idée de Margiela qui faisait saluer toute son équipe à la fin des défilés.

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