Irving Penn : la ligne et la grâce

Contrairement à Richard Avedon qui boude les natures mortes, Irving Penn excelle dans cet art comme dans celui du portrait.
En revanche, il partage avec son grand rival l'intérêt pour le modèle photographié. Il n'y a pas de grande photo sans cette envie de partager ce qu'on perçoit.

Irving Penn (1917 - 2009)
Après avoir travaillé quelques temps comme publicitaire puis s'être essayé à la peinture, Irving Penn devient assistant d'Alexander Liberman, le célèbre directeur artistique de Vogue dans les années 40.

En 1943, Vogue publie en couverture une nature morte signée Irving Penn. C'est une première pour le magazine. Entre Conde Nast et le célèbre photographe, la collaboration durera 66 ans!

Ses photos sont comme des coups de ciseaux : tout est net, incisif. Il met en relief les angles, les lignes, les méplats. Rien d'étonnant lorsqu'on sait qu'Irving Penn a une formation de designer, puis a travaillé comme graphiste. C'est sans doute ce regard commun sur l'art et la mode qui le rapproche d'Alexander Liberman.

Irving Penn pour Vogue US, octobre 1943
au passage, on notera que notre vieux pote Jérôme Dreyfuss n'a pas inventé son célèbre sac Carlos, héhéhé...
Irving Penn pour Vogue US, juin 1950
sans doute l'une des plus célèbres couvertures de Vogue

Irving Penn pour Vogue US, mars 1965

Irving Penn pour Vogue US, mai 2004
L'une des spécificités d'Irving Penn est le jeu d'ombre que l'on retrouve dans presque tous ses clichés. 
Et lorsqu'il photographie en couleurs, les contrastes sont exagérés, la photo devient un tableau.
Tout est grâce mais rien n'est mièvre. Irving Penn a traversé le 20° siècle subtilement, entre une féminité un peu désuète et une modernité saisissante.
Elégantes emplumées, petits vendeurs à la sauvette ou célébrités sont toujours photographiées en studio, sur un fond neutre. Sa femme Lisa est l'un de ses modèles fétiches. D'origine suédoise, Lisa Fonssagrives est la mannequin la plus célèbre des années 40 et 50. Ils se marient en 1950. Elle disait avec humour qu'elle n'était qu'un cintre à vêtements mais c'est elle qui inspirera à Penn ses meilleures photos. Une alchimie mystérieuse qui nous touche encore après leur mort. 

Lisa Fonssagrives
Lisa Fonssagrives
Vérouchka, couverture Vogue Paris, 1965 - Irving Penn

Femme au chapeau à plumes, 1991

Sa première série célèbre, celle des "Petits Métiers" immortalise les métiers en voie de disparition. Lors d'un voyage à paris pour couvrir les collections couture, il commence à photographier rémouleur, cireur de chaussure, crieur de journaux... Il poursuivra ce travail à New York et Londres. Pour cette série de plus de 100 portraits, Irving Penn utilise d'abord l'argentique, puis le tirage platine-paladium. Une technique née en 1873 aux débuts de la photographie et qui donnent à ces photos des airs de daguérotypes. Une façon d'accentuer le côté décalé de ces métiers mais aussi la meilleure manière de les immortaliser, car cette technique de tirage est celle qui préserve le mieux les clichés au fil du temps. 

Vehicle Watcher, London - 1950
Vendeur de marrons, New York - 1951
Les Garçons Bouchers, Paris - 1950
Ses séries beauté sont également remarquables.

shooting pour l'Oréal - 1986



Irving Penn, Magic in the Makeup, Vogue US - Décembre 2005
Tout au long de sa carrière, les natures mortes forment un volet complet de son travail. Là encore, on y reconnait la patte du graphiste et du publicitaire.

Italian Still Life, 1981
1947
Irving Penn est une personnalité discrète, voire secrète. Sa bio tient en 3 lignes. De lui, il n'a sans doute voulu laisser que ses photos, son regard sur les autres, la passion pour un travail rigoureux, méticuleux, extrêmement technique mais jamais froid.
Qu'il photographie un vieux camembert ou la belle Jackie Kennedy, Irving Penn y met le même respect. Il n'y a pas de sujet inintéressant pour Penn qui cherchera toujours la meilleure manière de le mettre en valeur. C'est le secret des grands photographes. Ne pas se mettre en avant mais s'effacer devant l'objet photographié et l'offrir aux regards des autres :"Irving Penn me montre ce que je fais" (Issey Miyake)
Irving Penn est probablement, avec Richard Avedon, le photographe qui a le plus influencé la photo de mode. Newton, Demarchelier, Lindbergh... tous témoignent à un moment ou un autre de son travail incroyablement riche et personnel. 

Irving Penn, Magic in the Makeup, Vogue US - Décembre 2005
A lire :
Ouvrages majeurs d'Irving Penn
Small Trades
A Career in Photography
A note book at Random
Still Life

A voir : plusieurs diaporamas ici

Gianni Versace, 1990 
Barnett Newman - 1966

Truman Capote, 1965
Dali
Cet article est dédicacé à Bree et Zoé

stelda

25 commentaires:

  1. Beau travail de recherche pour ce post. Je ne connaissais pas toutes les facettes de son travail.

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    1. Ce sont les couvertures de Vogue qui sont les plus connues, ainsi que les Petits Métiers. Il a réalisé 165 couvertures pour Vogue!!
      Je suis contente si j'ai pu te partager d'autres facettes. Mais le choix des photos a été difficile, tout est beau!

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  2. Superbe article. mais la photo que tu nomme Dali, je ne pense pas que ce soit lui. je n'arrive pas à me souvenir du nom de cet homme, mais ce n'est pas Salvador Dali.

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    1. Oups, t'as raison! la photo de Dali avait sauté... C'est réparé ;-). Merci, Laurence !

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  3. Merci Stelda !
    Me voilà "culturée" pour la matinée (et bien plus longtemps).
    Ce billet est un régal, à la fois divertissant et instructif... Quel beau travail tu as fait là !
    Bisous
    Anne

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    1. Ohlala, je crois que tu n'as guère besoin de moi pour te culturer, Anne :)) Meerci pour ton adorable commentaire, bisous!

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  4. Super article. Je suis contente que vous ayez mis la photo de Truman Capote. Bizarrement, je crois que ses portraits et sa série des métiers sont ce que je préfère car ils déploient une intensité psychologique inégalée.
    Saut de puce : ils me font penser au travail récent du photographe belge Stephan Vanfleteren. Rien à voir avec la mode mais si vous ne connaissez pas, jetez un coup d’œil à ses œuvres : http://www.stephanvanfleteren.com/
    Elles valent vraiment le détour. Nina

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    1. Vanfleteren, je l'avais découvert sur le site World Press Photo il y a quelques années. J'aime beaucoup.
      Je traîne régulièrement sur le ce site, il y a toujours des reportages magnifiques, bouleversants.
      Merci d'en reparler, Nina :)

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  5. Merci pour cet article très intéressant et merveilleusement synthétisé!!!
    Vraiment contente d'avoir lu cet article ;-)))
    Bises

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    1. Merci Nad :) Pas évident de synthétiser le travail de Penn, il est bon partout! Du coup, on ne sait que choisir... mais j'ai un faible pour la photo à la robe rouge, elle est magnifique. Et les portraits : Avedon faisait des portraits très âpres, Penn, lui, fait ressortir le côté drôlatique de ses sujets. C'est plaisant.

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  6. Waaaoooh! je le connaissais à peine! Je vais passer chez mon libraire et me gaver de ces sublimes images. Merci pour la découverte.

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    1. Je ne connaissais pas toute l'étendue de son travail, et je suis vraiment émerveillée devant ses natures mortes. C'est tellement inspirant ce regard sur les choses

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    2. @ Madame M : je suis contente, alors ;-). Bonne lecture, je crois que tu vas te régaler...

      @ Anne-Sophie : ses natures mortes étaient extraordinairement inventives pour les années 40... de vrais tableaux.

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  7. je me suis régalée à la lecture de ton article, merci pour cet hommage, un photographe dont j'ai toujours admiré le travail, tu as su le faire vivre un moment, des bisous une belle semaine à toi.

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    1. Merci Blandinette.
      De gros bisous et bonne soirée ;-)

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  8. Punaise elles sont superbes ses photos ! Comment ça casse mon préjugé de la nature morte = une vieille coupe de fruits XD !

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    1. Il y en a une super, avec un sac renversé... tu peux la voir dans le diaporam indiqué en fin d'article ;-).
      Héhé, suis contente que ça t'ait plu, Pipou :)

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  9. Il y a de très belles photos, merci du partage !

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    1. Merci à toi de ta visite ;-). Bonne soirée, Apodioxe!

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  10. De magnifiques photos c'est ce que l'on appelle UN ARTISTE; bISES

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    1. C'est un photographe d'une grande délicatesse. Un artiste, en effet. Bises, Dame Skarlette

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  11. Je l'aime cet Irving. Merci Stelda pour cet article (de toute façon plus ça va plus je vais te dire merci à chaque fois). Surtout les photos de bouffe, ça vole très haut, à la hauteur des natures mortes flamandes du XVIIe. Si si, d'ailleurs si je devais acheter ou un flamand ou un Penn, j'y mettrai exactement le même prix. Tu imagines un Irving Penn dans mon salon? Mais là je ne sors plus de chez moi, je reste devant toute la journée. Ce serait une catastrophe. ) Donc heureusement il n'y a pas d'Irving Penn dans mon salon.

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    1. Ne me remercie pas, c'est moi qui te remercie : tu m'as poussée à sortir cet article des cartons ;-).
      Suis complètement d'accord avec toi pour Penn et les Flamands : c'est la même lumière, la même précision dans la composition, la même admiration devant les petites choses du quotidien...
      Et l'admiration béate devant un tableau, je l'ai ressentie devant une esquisse de Delacroix : j'ai pensé "si j'avais ça pendu dans mon escalier, je dormirais devant" :D

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  12. J'ai honte. A chaque fois que je vais sur l'ordi, je me dis "Il faut à tout prix que je commente l'article de Stelda", et je l'ai toujours pas fait.

    Tu avais raison, ce billet m'a énormément plus. Je te remercie de me l'avoir en partie dédié, tu ne pouvais pas me faire plus plaisir :) Tu dois t'en douter, les photos que j'ai préféré sont les natures mortes et les "petits métiers", qui sont tout simplement fabuleuses ! Alors, je te dis un grand merci de m'avoir encore fait découvrir un photographe :)

    Des bisous

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    1. Je sais que tu es en pleine révisions, ne t'inquiète pas ;-)
      J'avoue que j'ai particulièrement pensé à toi en regardant les natures mortes, surtout les fleurs... il a fait des clichés de coquelicots ou de tulipes superbes!
      Je suis contente qu'Irving t'ait séduite toi aussi :))

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