Carven vs Jacques Fath

chapeau Jacques Fath
Les vieilles marques sont tirées de leur sommeil. Non par un Prince Charmant, mais par des investisseurs.
Une nouvelle marque de prêt-à-porte de luxe coûte très cher à lancer. Et il faut plusieurs années avant qu'elle ne se constitue une image assez forte pour attirer sa cible. Les investisseurs l'ont bien compris. 

A la fin des années 70, la plupart des maisons de couture faiblissent. Les codes sociaux changent. Les grandes maisons peinent à survivre à la généralisation du prêt-à-porter et au désir de simplicité de la nouvelle bourgeoise. Les grands couturiers réputés pour leur qualité et leur souci du détail ne font plus guère recette. Ils sont estampillés "vieilles rombières". et puis, les fondateurs sont vieillissants ou leurs héritiers ne savent comment se dépêtrer de l'affaire familiale.
Au milieu des années 90,  quelques malins rachètent les grands noms des années 20 ou 50. Et décident d'en rentabiliser le patrimoine. Tout en habillant gratos leur(s) femme(s). Ce qui peut-être rentabilise déjà la chose.
Ils appellent une bonne agence de com', planchent sur "l'ADN" de la Maison pour en extraire tout ce qui peut susciter l'intérêt de la folle de mode, aspergent Vogue et Vanity de pubs, inondent les red carpets, et voilà. Sans oublier de propulser un petit jeune (souvent pas si jeune que ça, inconnu du grand public mais bien connu du milieu) aux commandes du studio de création.

Carven, été 2012

Depuis 20 ans, donc, c'est le bal des belles endormies.
Gucci a ouvert le feu avec fracas, en 1995. Tom Ford a secoué la respectable italienne à coup de photos chocs et de campagnes chics.
Lanvin a suivi avec succès en 2001, sous la main d'Alber Elbaz.
Balmain, moribonde en 2006, est ressuscitée par Christophe Decarnin.
Irfé est réveillé en 2008 par Olga Sorokina.
Carven renaît depuis 2009 par la grâce de Guillaume Henry.
Vionnet sort de sa torpeur depuis un an ou deux, boostée par le talent de Rodolfo Paglialunga
Toute cette patouille se fait avec plus ou moins de succès. Commercial, esthétique et fidélité à l'esprit d'une Maison ne vont pas toujours de pair. Je ne suis pas sûre que l'esprit provocant des collections actuelles de Lanvin soient très au goût de la discrète Madame Lanvin.
En revanche, Carven, pour moi, ça tient du miracle. Guillaume Henry a gardé le côté frais et poétique dans des créations ultra modernes.
Mais une grande dame manque encore à l'appel : la Maison Jacques Fath.
Jacques Fath en 1951
Ses robes, ses ensembles, ses sacs à main, ses chapeaux... Ses silhouettes sont, comme celles de Dior, imprimées dans nos rétines.
robe de cocktail Jacques Fath - 1951
Autodidacte, Jacques Fath apprend le métier en visitant des ateliers et des musées. A 40 ans, il avait formé Guy Laroche, Valentino et Hubert de Givenchy. Lorsque je pense à Jacques Fath, c'est pourtant Audrey Hepburn qui apparait! Sans doute Givenchy a-t-il gardé la patte du Maître...
Réputé pour sa gaieté, sa gentillesse, sa bonne compagnie, il créé des modèles féminins et pétillants. Ses robes de soirée ressemblent à des lys, ses tailleurs à des tulipes.
Jacques Fath est aussi un excellent communicant. 
modèle Jacques Fath - 1951
modèle Jacques Fath - 1955


Dans son carnet de commande, se bousculent l'aristocratie parisienne, Ava Gardner, Greta Garbo, Rita Hayworth (dont il créé la robe de mariée)...
Il meurt à 42 ans.
Bizarrement, cette légende des années 50 est laissée à l'abandon.
Ce couturier était l'un des plus influents après-guerre, avec Dior et Balmain. Ses deux concurrentes ont réussi à reprendre leur envol. Et la Maison emblématique de la Jolie Parisienne mérite elle aussi
En fouillant, j'ai découvert que la Maison Jacques Fath vivotait encore. Après plusieurs stylistes, c'est Laurence Dumenil qui a pris en charge une ligne maroquinerie. Des minaudières et des sacs à main très 40's, aux fermoirs travaillés. 
sac à main - 2012
minaudière - 2012
modèle impératrice, veau grainé - 2011
Mais sans l'esprit de Jacques Fath, sa grâce, son goût de la féminité, ces créations semblent un peu mortes.
Je ne parle pas du site, qui a dû être conçu par un webmaster de Foir'fouille.
Si j'étais la Maison Jacques Fath, je courrais embaucher Galliano. Son exubérance (additionnée de 15 ans passés à décortiquer les archives de Dior) serait un atout de choc. Sans le nommer, bien sûr. Mais il ne s'en formalisera pas, de toute façon : il n'a plus le droit d'utiliser son nom. Autre qualité indéniable : ses prétentions salariales ont certainement baissé.
Donc, cher directeur de Jacques Fath Paris, si tu me lis, sache que j'accepte volontiers d'être la DA de paille pour John, au service de la mémoire du grand Jacques.

Pour aller plus loin : Jacques Fath Paris

ouvrage tiré de l'exposition "Jacques Fath, les années 50" (Musée Galliera à Paris, en 1993)

stelda

7 commentaires:

  1. J'ai toujours aimé Carven, même ado, et on se foutait de moi!
    Merci d'en parler.

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  2. Même ado ? waouh, tu dois avoir une culture de la mode incroyable! Cet article me tenait vraiment à coeur, je suis contente qu'il t'ai plu. Bonne journée à toi ;-)

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  3. Ah bon, la marque Jacques Fath existe encore ? Effectivement, ces dernières années ont vu renaître des vieilles maisons. Carven est à suivre mais Vionnet, je suis pas trop emballée par leurs créations.

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  4. Elle existe encore... mais mérite un Guillaume Henry ;-)

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  5. J'ai beaucoup apprécié ton article et les photos que tu as mis sont tout simplement sublimes. Le livre me tente bien. Merci.
    Lilly

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  6. Merci à toi de me lire, Lily ;-)
    Pour le livre, il y en a aussi un autre aux Editions Assouline, "Jacques Fath". Bonne soirée!

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