Cent ans après

Itzhak-Leibush Peretz (1852-1915)

J'ai découvert cet été ce poème d'un grand écrivain russe, l'un des pionniers de la littérature yiddish. Itzhak Leib Peretz était poète et dramaturge. Il fut aussi avocat mais par-dessus tout, c'était un homme qui croyait à la spécificité de chaque peuple et qui était persuadé que la littérature portait cette identité. Un profond humaniste, curieux, parlant 5 langues, conciliant religion, socialisme et romantisme. Un homme comme on en fait peu.

Il y a des poèmes qui touchent plus que d'autres. Chaque fois que je le relis, j'ai les larmes aux yeux. Cent ans après leur création, ces vers me semblent terriblement d'actualité.



Ne crois pas…

Ne crois pas le monde une auberge - créée
Pour se frayer chemin par la griffe et le poing
Vers la table où l'on boit et l'on bâfre, tandis
Que regardent de loin les autres, les yeux glauques,
Défaillant, ravalant leur salive, serrant
Leur estomac que les crampes secouent,
Ô ne crois pas le monde une auberge!

Ne crois pas le monde une Bourse - créée
Afin que le puissant marchande avec le faible
Pour acheter leur déshonneur aux filles pauvres
Et aux femmes leur lait nourricier, aux hommes
La moelle de leurs os, leur sourire aux enfants,
Rare apparition des visages de cire,
Ô ne crois pas le monde une Bourse!

Ne crois pas le monde une jungle - créée
Pour les loups, les renards, rapine et duperie,
Le ciel - rideau tiré pour que Dieu ne voie rien,
La brume - afin qu'au mur nul regard ne te fixe,
Le vent - pour étouffer les plus farouches cris,
La terre pour lécher le sang des innocents,
Ô ne crois pas le monde une jungle!

Non, le monde n'est point auberge, Bourse ou jungle
Car tout y est pesé, tout y est mesuré,
Nulle goutte de sang et nul pleur ne s'effacent
Nulle étincelle en aucun œil ne meurt en vain,
Les pleurs deviennent fleuve et le fleuve une mer
Et déluge la mer, l'étincelle tonnerre,
Ô ne crois pas qu'il n'est Juge ni Jugement!

stelda

2 commentaires:

  1. J'imprime et je garde.... Merci pour cette decouverte

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    1. Je t'en prie :) C'était impossible de ne pas la partager, ce poème m'a bouleversée.

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