Les mondes invisibles de Zofia Rydet


Zofia Rydet avec un modèle (1911-1997)

Depuis samedi dernier, le Jeu de Paume présente au château de Tours une (toute) petite partie du travail de Zofia Rydet. Une illustre inconnue en France, sauf chez quelques photoaddicts, mais reconnue comme l'une des plus grandes photographes polonaises : Zofia a fait un travail monumental, qu'elle a baptisé Le Répertoire sociologique. De 1978 à 1990, elle a photographié les hommes, les femmes et les enfants de Pologne, leur maison, leurs objets, aussi, prise d'une espèce d'angoisse à l'idée que tout disparaisse un jour. Plus de 20 000 photos, classées selon une typologie très personnelle, parfois pas très bien classées, avec des légendes plus ou moins complètes... et dont elle n'a développé qu'1 ou 2 % des négatifs. Les deux commissaire de l'exposition expliquent avoir dû faire un travail de fourmi pour retrouver tous ses fils conducteurs et mettre en avant la cohérence de ce travail. Comme l'artiste prenait beaucoup de photos au grand angle et avec un flash très puissant, le travail de tirage a lui aussi été très délicat.

Dans les grandes salles du château, l'effet est saisissant : des dizaines de photos noir et blanc se serrent sur les murs, collées les unes aux autres. Comme un immense film négatif. Ou comme des papillons épinglés dans une boîte. Aucune légende, les images se suffisent à elles-même. On peut jouer à Où est Charlie ? et tenter de deviner le point commun à chaque groupe de photos, puisque Zofia les classe aussi en fonction des objets qui apparaissent sur les clichés : un téléviseur, un lit, une porte... et même les portraits du pape Jean-Paul II. 


Cette démarche anthropologique est courante dans la photo : elle rappelle celle de Nicolas Muller exposé lui aussi il y a 2 ans au château de Tours mais la ressemblance s'arrête là. On est loin de la gaieté d'un Lartigue ou de la beauté d'un Avedon, d'un Irving Penn qui ont, eux aussi, immortalisé des "petites gens ordinaires". Les photos de Zofia Rydet sont sombres, laides, cliniques. Comme l'explique l'un des deux commissaires de l'exposition, Sebastian Cichocki, « Zofia était un terroriste de la photo : elle entrait chez les gens, leur disait qu'elle devait faire une photo d'eux, là, tout de suite.» Elle leur demandait de ne pas se changer, ne pas sourire et les plaçait d'autorité devant un mur., une fenêtre, une porte, selon ce qu'elle avait en tête. Ce n'est qu'une fois sa photo prise qu'elle discutait avec ces modèles malgré eux. C'est peut-être de là que vient cette froideur, cette distance. Une distance qu'on trouvait aussi dans certaines photos de Sabine Weiss et chez Nicolas Muller.


Faut-il aller voir cette exposition ? Pour moi, oui, non pour sa beauté mais pour toutes les réflexions qu'elle porte : la photo est-elle toujours un art ou peut-elle être un médium scientifique ? Cet "oeil ouvert sur le monde" l'est-il vraiment ou est-il un miroir qui reflète juste nos névroses ? Le photographe peut-il se contenter de montrer ? Plus je regarde de photos et plus cet art me semble mystérieux. Le plus factuel, et pourtant, comme par magie, chaque photographe imprime sa personnalité, volontairement ou non, dans ses images.  Et devant tous ces visages figés par Zofia, j'ai eu mal au coeur. Une grande tristesse, comme si je visitais un mausolée. Tristesse aussi face aux émotions de la photographe que je ressentais derrière ce travail névrotique.

Pourtant, Zofia a bien d'autres facettes et pour la comprendre, il faut aller au-delà de ce Répertoire sociologique, qu'elle considérait comme sa grande oeuvre (elle y travailla jusqu'à sa mort). Sa série Little man révèle un amour de l'humanité à couper le souffle, ses séries de photomontages, comme Mannequins, Expectations ou Annihilation, créées au début des années 70, sont d'une poésie incroyable. En les voyant, on comprend alors que Zofia, loin d'être froide, est au contraire une éponge qui voulait nous montrer des mondes invisibles. Et son idée du Répertoire sociologique apparaît enfin clairement : quand nous regardons en premier l'homme sur la photo, elle, se focalisait sur le décor et voulait immortaliser les objets. 

cycle Expectations, 1973-1975, Zofia Rydet






Exposition Zofia Rydet, Répertoire, 1978-1990 - jusqu'au 28 mai 2017. Château de Tours.



stelda

1 commentaire:

  1. En effet, un témoignage sociologique d'une artiste - comme une pièce de théâtre ou la littérature peuvent être des oeuvres de témoignages d'une époque ! La dernière photo est saisissante.
    Merci de nous parler de cette photographe que nous ne connaissons pas

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