Twitter, l'étoile et le coeur



La pauvre Enjoy Phenix devra attendre encore un peu que j'analyse son cas, y a encore une urgence : Twitter a remplacé son étoile par un coeur. Je suis dégoûtée. Une étoile vous manque et tout est dépeuplé. L'affaire est déjà baptisée #Favgate. 

Ca semble grotesque, ça l'est un peu, comme tout ce qui enflamme Internet, mais le changement est loin d'être anodin : Twitter était le seul réseau social, avec Flickr, à se distinguer du like généralisé. Sur Vine, Periscope, Instagram, Tumblr, Facebook, c'est coeur partout. Ca me fatigue, ces ribambelles de coeurs, pourtant, Dieu sait si j'aime les coeurs, le rose, le rouge et les paillettes (oui, parce que le coeur de Twitter lance des paillettes quand tu cliques dessus!)

A l'heure où j'écris ce billet, j'ai 8 775 tweets rangés dans mon onglet favoris, c'est vous dire que je ne suis pas farouche du fav'  et pourtant, tout à l'heure, j'ai hésité, à cliquer sur le coeur sous un tweet d'un journaliste du Figaro que je trouvais intéressant. Je ne le connais pas, ce brave homme, et je n'ai pas du tout envie de lui envoyer des coeurs! Comme 30 % des twittos, j'utilise le réseau à l'oiseau pour faire de la veille. Je me note en favoris des dépêches de l'AFP, des articles de Libé, de Valeurs Actuelles, l'agenda de l'Elysée ou des publications de l'INSEE. Sérieux, vous me voyez leur mettre des coeurs ?! Faire des bisous aux Décodeurs du Monde, ou aux dernières données sur le ratio logement / salaires ? 

Je suis donc très, très énervée. Pas qu'on bouscule mes petites habitudes mais qu'on m'enlève mon indépendance d'expression. Une étoile, c'est plus neutre, il n'y a pas de caution émotionnelle. Ca s'utilise comme un marque-page. Un coeur, c'est un engagement : j'aime. Or, je note une foule de tweets très intéressants pour des raisons diverses que, pourtant, je n'aime pas. Comme celui-ci, par exemple : 

C'est typiquement le genre de tweet que je vais mettre de côté. Est-ce à dire que j'aime son contenu ?  Heu... on parle d'une grève. Une initiative importante, qui aura peut-être des répercussions, mais on ne va pas lui envoyer une carte postale pour Noël. 

Beaucoup de twittos se sont cru obligés de spécifier sur leur compte "favori ou retweet ne signifie pas approuvé". Avec ce coeur, la confusion sera encore plus forte et nous pousse encore plus vers un système basé sur l'affichage des émotions et l'épidermique, un mode binaire simpliste "J'aime, j'aime pas" digne d'un enfant de 2 ans, au lieu de promouvoir un échange, un débat, de la réflexion.

Tout le monde sait que Twitter pédale un peu dans la semoule et n'arrive pas à trouver son modèle économique à être rentable (ils n'ont qu'à m'appeler, j'ai une idée géniale!). Ses dirigeants ont décidé de copier FB et son modèle super-émotionnel de like. Le hic, c'est qu'avec des messages de 140 caractères, Twitter n'est pas fait pour l'émotionnel, c'est un lieu de concision et d'alertes. S'il charrie de l'émotion, c'est grâce à sa vitesse de propagation des contenus, pas aux tweets en eux-mêmes. La seule exception à cette règle ? Quand un politique, une star ou une blogueuse balance une énorme bourde en 140 signes.

Le plus drôle, c'est que Twitter lance ses coeurs au moment où les utilisateurs poussent Facebook à modifier son système de like. Je ne comprends pas qu'un truc aussi innovant et malin que Twitter à ses débuts devienne un wagon à la ramasse derrière ce gros plein de soupe de Facebook. 

PS : Twitter, si tu remets les étoiles, garde le clignotement et les jets d'étincelles que tu avais instauré sur le coeur, c'est assez bluffant.


Les deux photos sont des installations en néon de l'artiste coréen Lee Jung. Vous pouvez les retrouver sur Tumblr.

stelda

6 commentaires:

  1. de toute façon, MÊME l'actu devient entièrement centrée sur l'émotionnel... C'est consternant...
    ENDORMEZ LES FOULES, BRAVES GENS, à coup d'émotionnel, PANEM ET CIRCENSES, comme ça, cool; personne ne réfléchira plus. Et après il ne faudra pas s'étonner de QUI arrive au pouvoir...

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    1. Rien n'a changé depuis les Romains (si ce n’est la rapidité des communications! )

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  2. Aimer ou ne pas aimer, blanc ou noir, pas de nuances, encore moins 50 ;)) Ça me fait penser à la réduction du vocabulaire d'aujourd'hui, pas besoin d'autres qualificatifs en fait, tu aimes ou tu n'aimes pas et on passe à autre chose. Ça va avec le culte du compassionnel, tout dans l'émotion et la fascination du malheur de l'autre, tout est rapporté aux "sentiments". S'il faut commencer à aimer valeurs actuelles, où va t'on !

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    1. Mis en parallèle, c’est en effet assez drôle que 50 nuances de gris ait fait un tel carton 😊 merci, tu m'as bien fait rire!

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  3. J'AIME cet article ! Merci ! #coeur (L) <3

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    1. J’en suis ravie, car j’ai beaucoup pensé aux community managers et aux attachés de presse en l'écrivant.

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