Karl Lagerfeld, le dernier des Mohicans


C'est tout de même drôle que ce soit le styliste sans doute le plus cultivé et le plus cérébral qui fasse les défilés les moins intellectuels. On dit qu'un peu de foi éloigne Dieu, beaucoup en rapproche. On pourrait le dire de la mode : peu de réflexion éloigne du vêtement, beaucoup en rapproche, ou en tout cas, le remet à sa place. 

Il raconte quoi, ce défilé Chanel été 2016 ? Beaucoup de choses.

  • Les costumes de pilotes pailletés renvoient illico à l'origine de la marque : le vêtement d'uniforme, dont Coco s'est inspiré à ses débuts (tenues de grooms pour sa veste tailleur, robes des religieuses pour le noir et le blanc).
  • Plus que l'espace (immense) du Grand Palais, avec ces 20 minutes de défilés, Karl offre de l'espace au vêtement qui a encore la place de se montrer. Avec des défilés de 8 à 10 mn maxi, cet espace-temps est le vrai luxe. 
  • Chanel montre ce qu'il sait faire : des vêtements, des fringues, de la nippe, de la sape. Et ce n'est pas un gros mot. Un vêtement peut être un moyen d'expression, de l'art appliqué, un reflet sociologique mais c'est aussi (surtout) un truc utile, pour avoir chaud et ne pas s'érafler les fesses sur une chaise ou un rocher quand on s'assoit. Et qui se vend, s'achète.
  • La femme apparaît réelle. Elle n'est pas fantasmée, un peu accusée peut-être, mais pas caricaturée. Karl s'inspire de ses riches clientes, un peu larguées, un peu déconnectées, hautaines, qui traversent le monde sans se préoccuper beaucoup de leur empreinte carbone ou de l'épuisement des ressources. Et honnêtement, dans le petit monde de la mode et / ou des influencers, peu de gens en ont quelque chose à carrer.* 
  • ... d'ailleurs, le défilé Chanel Airlines a eu lieu le lendemain de l'affaire de la chemise à Air France. Les pauvres salariés peuvent bien péter les plombs sous le poids de la pression et passer la ligne jaune, celle du lynchage, il y aura toujours de riches héritières et des femmes d'affaires cousues d'or pour se préoccuper plus de leur tenue et du contenu de leur plateau repas que de savoir si l'hôtesse qui leur sert a eu le temps de dormir entre deux escales ou si elle a une convention collective. 

Mais je m'égare. Revenons à Karl. Une fois de plus, il renonce à toute hypocrisie en proposant un défilé dégoulinant d'argent (dans tous les sens du terme) et absolument pas politiquement correct. Il célèbre les riches, les blanches, les voyages, la consommation, présente une collection calibrée pour vendre. Il le dit : "Je suis un mercenaire". Pour toutes les raisons ci-dessus, je le remercie d'être là. 

 

Et les vêtements, ils sont comment ? Ben, c'est des vêtements. Finalement, on s'en fiche, non ? Il y en a toujours qui aimeront, parce qu'il y a deux C, d'autres qui détesteront parce que c'est connoté Bernadette C... Roooh, je plaisante.

Les mousselines façon vitrail, bof. J'ai du mal avec les couleurs, comme toujours dans les collections Chanel, je les trouve vraiment tristounettes. Certaines coupes m'ont fait tiquer également (une robe du soir en particulier, hummmm, ouche!). Enfin, il ne faut pas attendre de Karl des innovations de ouf de ce côté-là, on sait qu'il préfère miser sur le travail des matières et sur des tissus exclusifs. Un travail plus discret mais qui permet à Chanel de rester à flot encore presque 100 ans après sa naissance. C'est sans doute parce qu'il est, au fond, un homme du XIXe siècle, demi victorien, demi dandy, que Karl survit dans le XXIe siècle. Il est intemporel. Sans doute aussi parce qu'il est, comme Elbaz, l'un des rares directeurs artistiques à vivre une vraie relation avec les propriétaires de sa maison de couture, établie dans le temps et non pas fixée sur un objectif à 6 mois. 

Contrairement à une écrasante majorité de créateurs, Lagerfeld, comme Galliano, a préféré miser sur l'argent plutôt que sur l'or. Hasard ? Je ne crois pas. La fin du défilé, noire et argent, a des accents très lagerfeldiens, assez proches de sa propre ligne. 

Mention spéciale aux petits tailleurs crème bordés de ruchés brodés de couleurs vives, aux pulls qui jouent sur une maille classique, aux vestes en tweed qui tombent sur les fesses, au lin enduit, à la veste brodée de morceaux d'argent avec des noeuds noirs. Bonne idée également les lunettes masque, les colliers de grosses mailles argentées, la socque spartiate. A sa façon, très pince sans rire, Karl nous invite à l'exubérance et à la folie.

A oublier quand même : les sandales à scratchs avec les chaussettes. Et la casquette à l'envers, ça fait peut-être djeun's mais ça fait surtout moche. Même avec des sequins.




* Voir le dernier scandale twitter : un groupe de la "blogo parentale" française a été invité en voyage "de presse" à Dubaï. Une promotion touristique qui a fait grincer quelques dents, comme vous pouvez le voir dans l'extrait ci-dessous : 



stelda

9 commentaires:

  1. je ne suis pas sûre que cela soit si paradoxal que ça, le styliste le plus cultivé qui ne fait pas ds l'intello: en fait, justement parce qu'il est cultivé, il a très bien compris les facettes de la mode. Son côté racoleur (ce que ses défilés, avec leurs mises en scènes grandioses, sont), sont côté superficiel et n'importe quoi...
    En fait, il est un peu "psycho sociologue" sur les bords, le Karl..

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    1. Tu as tout à fait raison : c'est un grand psychologue :)

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  2. SON côté superficiel, pardon, suis pas réveillée, moi!!! (nan mais t'as vu l'heure?? :-)

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  3. Quoi qu'il fasse, il aura du succès, non? tu ne crois pas ? Les "riches dames", c'est un peu dans la tête de porter du Chanel. Une espèce d'aura que cela donne. Tout comme les "pauvres dames", de porter un vernis ou un rouge à lèvre C.... enfin, c'est une idée.
    Euh c'est quoi la blogo parentale ? des gens qui donnent des conseils et qui photographient leurs mômes à tout va ? Je ne connais pas cette facette des blogs...trop vieille sûrement ! ;))))

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    1. Oui, c'est un peu ça la blogo parentale... C'est aussi plein de posts sur le meilleur cadeau de Noël, les anniversaires d'enfants, toussa.

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  4. Il y a de jolies choses dans ce défilé.
    Pour anecdote, j'ai une amie chef de cabine à Air France qu'une cliente a refusé qu'elle lui serve son repas car elle n'aimait pas sa coupe de cheveux !

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    1. C'est incroyable. Je ne pensais qu'on pouvait être caractériel à ce point-là.

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  5. Moi je l'aime pour sa collection Lagerfeld. Et son super sweat gris doudou que j'ai tout le temps :)

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