Cramé de mode

S'il y a bien des mails auxquels je réponds tout le temps, c'est ceux qui causent livres. Ca, c'est prioritaire. Prioritaire donc le mail de la journaliste Ira de Puiff qui m'a envoyé son dernier roman.
Ecrit à quatre mains avec Indigo, il s'appelle tout simplement Le Roman de la mode. Je l'ai lu dans la soirée.

Photo : Henry Hargreaves, série Burning Calories

Sur leur webzine, Indigo et Ira rapportent les péripéties qui ont précédé la sortie de leur ouvrage :

"Nos négociations éditoriales, qui ont duré un long moment, nous imposaient donc de :
1) remplacer la fameuse vitrine de Chanel par celle d’une autre marque, moins connue et surtout beaucoup moins influente (sur laquelle on peut cracher, vomir, voir pisser, etc)
2) enlever toute mention de John Galliano (comme s’il n’avait jamais existé)
3) trouver un autre nom pour le chien car Vuitton, c’est sacré !
4) « alléger » les scènes de sexe (la mode sans sexe… Voyez-moi ça !)
5) réduire le nombre de références et de noms de la mode peu connus par le grand public.
Grosso modo, remplacer les créateurs par les grandes enseignes avec pignon sur rue que vous connaissez tous !
Et le pompon, on nous a proposé que l’un d’entre nous co-signe « Le Roman de la Mode » avec « la tête d’affiche » de l’éditeur en question en envoyant paitre son véritable co-auteur. C’était la meilleure."
Sidérant. Ira et Indigo ont donc choisi l'auto-publication sous forme d'e-book. L'indépendance (et les ours blancs) est préservée, voilà. Rien que ça, ça m'a donné envie d'en parler. Le Roman de la mode montre l'envers du décor. Là où Le Défilé des vanités nous emmenait sur les pas des journalistes, Le Roman de la mode nous emmène dans la tête d'un styliste surdoué et malheureux.

couverture du livre Le Roman de la mode

"Born in fashion", le héros se lance dans la couture. Tombe amoureux. Se fait dépouiller de ses idées. Tombe le nez plein de coke. Et se relève. Jusqu'à quand ? Comment ? Et avec qui ?

Soyons clair : ce livre, c'est l'horreur, une descente aux enfers, il aurait pu s'appeler Le diable en rit encore. On le quitte avec la nausée, mais une nausée qui porte à la réflexion. Il y aussi des scènes très drôles et on sent que les auteurs ont observé attentivement les manies du milieu. En lisant la première page, je me suis dit : "Mince, on dirait la scène que j'ai vue il y a deux ans!" Bingo, c'était ça. 

Indigo a travaillé dans des bureaux de presse, Ira de Puiff est journaliste de mode pour plusieurs magazines russes. C'est rare, très rare, que des professionnels osent montrer la face noire de la mode. Il y a eu le salutaire Luxe & Co, le terrible Beautiful PeopleLe Diable s'habille en Prada, Le Défilé des Vanités, le jubilatoire Beauté d'enfer. Ca ne fait pas très lourd, pour une industrie qui est l'une des premières puissances mondiales et qui compte les plus grandes fortunes de France, d'Italie, d'Espagne.  Celui-ci montre une nouvelle facette. 

Jusqu'à quand accepterons-nous de cautionner cette usine de chair à pâté qu'est devenue la mode ? Avons-nous une influence sur ce système de fou ? Oui, j'en suis persuadée. Si, à certains passages du Roman de la mode, j'ai tordu le nez devant des maladresses d'écriture et quelques coquilles, c'est un ouvrage que je suis contente d'avoir lu : il m'a remis en tête les coulisses d'un monde extrêmement violent. Et dont on comprend mieux que certaines prescriptrices se détachent peu à peu. Parce que, même vue du bord de la route, la caravane n'est pas toujours belle à regarder passer.

Faut-il jeter le bébé avec l'eau du bain ? Non. Mais Le Roman de la mode nous rappelle pourquoi la mode nous parle : c'est le plus bel emblème de la schizophrénie de notre société. Pour l'illustrer, je n'ai pas trouvé mieux que ces photos d'Henry Reagraves.

Des extraits du Roman de la mode sont disponibles sur le webzine d'Ira et Indigo, Born in Fashion.

Le livre est en vente sur Amazon.

Photo : Henry Hargreaves, série Burning Calories

stelda

12 commentaires:

  1. j'adore les post littéraires : j'ai lu le défilé des vanités et beauté d'enfer. Celui-ci me tente ! Merci Stelda !

    Estelle
    lamodeestunjeu.fr

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    1. Tu en as pensé quoi ? J’aimerai beaucoup avoir ton avis. Est-ce que tu as, comme moi, préféré Beauté d'enfer ?

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  2. Ayant lu Beautiful People, je suis curieuse de voir celui-ci ! Peut être vais-je me laisser tenter.
    En tout cas, merci pour cette découverte. C'est super intéressant les post qui parlent bouquins et littérature. Quand c'est en lien avec la mode, c'est encore mieux :)
    Je vais me laisser tenter par les extraits en attendant !

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    1. Les extraits donnent un très bon aperçu du roman, ils permettent de voir si on accroche ou pas.
      Beautiful people est terrible. Passionnant mais dur.

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  3. J'ai lu Le Diable s'habille en Prada et Beauté d'Enfer (merci encore Stelda) et ce livre m’intéresse aussi. Il ne me reste plus qu'à le trouver au format epub ...

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    1. Est-ce que tu as aimé Beauté d'enfer ? Tu as le droit de dire, non, hein !

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  4. C'est effrayant la réaction des maisons d'édition, c'est presque le plus grave pour moi. Influence quand tu nous tiens....

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    1. Oui, je n'en revenais pas. On parle juste d’un roman, pas des services secrets américains. C’est complètement fou.

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  5. C'est effrayant mais je suis tentée, tu en parles si bien ... je note !

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    1. Je pensais avoir pas mal ce recul sur ce milieu et en lisant ce roman, j’ai compris que non :) Il m’a vraiment renvoyé à moi - même, ce que représente la couture à mes yeux.

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  6. Réponses
    1. Peut-être que le prochain dont je parlerai, ce sera celui de Garance Doré ;) Il devrait sortir en mars, il me semble.

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