La mode, c’était mieux avant





En lisant Chère haute couture de Janie Samet j’ai réalisé à quel point notre époque folle de vintage a tendance à fantasmer un âge d'or de la couture et de la mode. Genre : c'était vachement mieux avant, tout fout le camp, c'est plus ce que c'était.

Or donc, est-ce vrai ? Le basculement se fait d'abord avec la généralisation du prêt-à-porter dans les années 60, puis dans les années 80, avec l'arrivée des financiers et celle des "créateurs". D'artisanale et locale, la mode devient mondialisée. Le nombre de maisons de couture est divisé par 5, puis par 10, mais parallèlement, le prêt-à-porter de luxe se multiplie et s'invite partout. Tout cela induit certains changements mais on garde encore quelques idées reçues bien ancrées.

  1. La mode est un milieu élitiste. Faux. Snob, oui, mais c’est l’un des rares secteurs dans lequel on peut s'imposer en sortant de nul part. Mais c'est aussi l'un des milieux où l'ascenseur social a fonctionné de la façon la plus éclatante : Chanel, Galliano, Gaultier, Alaïa, ... sont tous issus de milieux modestes. Gaultier et Ghesquière n'ont pas fait d'école de mode. Mais il faut avoir les codes et faire les bonnes rencontres pour enter dans la danse.
  2. Le rythme des collections était moins rapide : vrai. En 1999, Janie Samet et une dizaine de consoeurs des plus grands magazines (ELLE, Le Figaro, Woman's Wear...) crient grâce devant l'accélération des collections et l'inflation du nombre de défilés : 90 en moins d'une semaine. Les pauvres journalistes ont les yeux carrés et parviennent à peine à écrire leurs compte-rendus. Elles menacent même de boycotter la fashion week, une idée qui fait bien rigoler les maisons de couture. Les marques leur renvoient dans les dents leur menace et promettent le black out de leur côté. Rédactrices 0, marques 1.   
  3. Les femmes étaient plus élégantes : oui, parce qu'elles faisaient plus attention au tombé des tissus, aux finitions, aux accessoires. Et non, parce qu'avant les Uggs et les slims en lamé or, on a eu droit aux robes tabliers à fleurs, aux jeans chaussettes, aux pulls en mohair, aux chaussures à bouts carrés, bref, plein d'horreurs qu'on est ravi d'avoir oublié.
  4. Les tissus étaient de meilleure qualité : vrai.
  5. Les couturiers n'étaient pas des stars : vrai. Ils n'étaient pas connu du grand public. Mais le milieu comptait déjà ses divas. La vie des ateliers étaient millimétrée et on appelait le couturier Monsieur, quand ce n'était pas Maître.
  6. Les vêtements étaient coupés pour de vraies femmes : vrai jusqu'aux années 70, puisqu'ils étaient fabriqués sur mesure dans les ateliers des couturiers, par une couturière de quartier ou, le plus souvent, par les femmes elle-même. Pas de diktat de l'étiquette, il n'y avait qu'une taille : celle de la cliente.
  7. On n’était pas dans l'image : vrai et faux. On ne vivait pas dans l'image mais les codes sociaux étaient extrêmement importants. Il était indécent de sortir sans chapeau, sans gants... Mais ces codes avaient souvent une origine pratique : le chapeau protégeait du froid, les gants avaient une fonction hygiénique...
  8. Les vêtements griffés étaient moins cheap : ouche, celui qui dit ça n'a jamais croisé une licence Cardin ou Saint Laurent dans les années 1980. On a quand même eu droit à tout et n'importe quoi, y compris des pulls en acrylique.
  9. La presse de mode n’était pas vendue aux annonceurs : vrai. La presse mode ou féminine a toujours vécu en grande partie grâce à la pub et dès les années 50, des lecteurs se plaignent de l'invasion des publicités pour les aspirateurs ou les gaines invisibles. Mais dans les années 20, Edna Chase, la rédactrice en chef de Vogue, tenait tête aux annonceurs, refusant les placements de produits qu'elle jugeait laids ou inintéressants. Et tant pis si l'annonceur menaçait de retirer son budget pub. Idem avec les exigences des grands couturiers, refusant d'être placé à côté de l'un ou l'autre de leur concurrent. Tous ont cédé à Edna. 
  10. Les vêtements étaient moins chers. Faux. Si certaines marques de luxe dégagent jusqu'à 70 % de marge sur leur pièces et si beaucoup, de Zara à Dior, se gavent, le prix moyen des vêtements a été divisé par 2 en quarante ans. En 1960, ils représentaient 12 % du budget d'un ménage français mais plus que 4,7 % en 2006 (et 3 % en 2014 mais cette dernière baisse s'explique surtout par la crise, le poste vêtement, comme les loisirs, servant "d'ajustement" quand le budget devient serré). 



Pour aller plus loin :

Chère haute couture, de Janie Samet, éd. Plon, 2006. Les mémoires de la plume mode de l'Aurore, puis du Figaro, qui a vu naître beaucoup de grands noms du milieu et les a suivis de 1954 à 2004. Soit 50 ans de défilés, imaginez...

Impératrices de la mode, d'Yseult Williams, éd. La Martinière, 2015. La bio de ces six femmes qui bouleversèrent la presse de mode se lit comme une série de nouvelles. On y suit Edna Chase chez Vogue, Carmel Snow chez Harper's, Diana Vreeland qui passa de l'un à l'autre, Marcelle Auclair qui fonda Marie Claire, Hélène Lazareff qui créa ELLE, et on retourne chez Vogue avec Anna Wintour. Yseult Williams écrit merveilleusement bien.

stelda

9 commentaires:

  1. J'aime tant vous lire .... C'est intelligent et argumenté, merci.

    Estelle
    lamodeestunjeu.fr

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  2. Votre exposé est très intéressant, c'est toujours trop facile de dire c'était mieux avant ! Ce qui nous frappe, ce sont des articles chères, à la mode, comme le pantalon jogging "de luxe" ou le jeans troué de marque par exemple - nous ne pensons pas que cette mode là n'existait pas.

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    1. Raaah, ça, c'est très vrai. Une dérive spécifique à notre époque.

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  3. Le commentaire est parti trop vite...
    Oui, nous pensons que maintenant c'est la rue qui inspire beaucoup les créateurs tandis qu'avant les créateurs influençaient tout le monde. D'où parfois ce sentiment de manque de goût

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  4. Je note ces livres, ils m'interressent.

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