Patrimoine vivant : Serkan Cura et l'art de la plume


"Je ne sais pas pourquoi je suis attaché à ce point à l'artisanat français, mais ce savoir-faire, c'est tellement incroyable! Il faut le garder, le faire connaître. Le métier de plumassier est un métier magnifique."

Ceux qui travaillent la plume ne sont plus très nombreux aujourd'hui en France. Le couturier Serkan Cura est l'un d'entre eux. Diplômé de l'Académie Royale d'Anvers, il a travaillé aux côtés de Jean-Paul Gaultier avant de créer sa maison en 2012. Ici, la plume est reine. Elle est partout. Elle embellit les robes. Elle forme des pantalons. Elle se transforme en éclats de métal et en fourrure. Elle enseigne aussi l'exigence, la patience. Et oblige à travailler différemment.




J'admire son souci de la perfection, de progresser, toujours. De respecter le matériau qu'il travaille, le magnifier, faire connaître ses richesses et sa beauté. Il sait rendre admirables les oiseaux plus modestes : avec des plumes de perdrix, il fabrique des petites fleurs. Il a pu trouver la quantité exacte pour faire une robe longue présentée dans sa dernière collection, en juillet. Cette dépendance au matériau, si elle peut être frustrante, le pousse à exploiter chaque particule de plume. L'axe central, les barbes, le duvet, chaque partie peut être peinte, découpée, frisée, chauffée, ciselée, pour obtenir un effet différent. Serkan Cura expérimente, encore et encore, l'art et la manière d'utiliser ses milliers de plumes.

En mode, les crétins prétentieux, les usurpateurs, les rois du marketing et les marchands de soupe prennent tellement de place qu'on en oublie qu'il y a des gens bien. Des artisans sincères, qui ne cherchent pas à se dandiner sur le devant de la scène. Des personnes respectueuses de leurs collaborateurs, de ceux qui les entourent. Des hommes et des femmes humbles, qui sont heureux de partager leur art et de découvrir celui des autres. Serkan Cura a beau créer les robes les plus folles qui soient, il a gardé une simplicité et une gentillesse incroyable. Et c'est sans doute ce qui explique ce choix étrange de la plume. La plume oblige à créer de la slow fashion.

Une partie de sa récolte provient des mues : deux fois par an, les oiseaux perdent leur plumage. "C'est à moi d'être dans le bon timing." Serkan Cura crée en fonction des oiseaux. "Parfois, dit-il en riant, j'imagine une robe et je me dis : Il me faut des plumes, il me faut des plumes!" On l'imagine courant d'un élevage à un autre, quêtant le précieux matériau. "Pour chaque robe, j'essaye d'avoir de quoi faire le modèle de défilé plus une commande pour une cliente. Le délai de réalisation est de 4 semaines, c'est très très court. Cette robe rouge, sur le mannequin, a demandé 3 mois de travail. La couleur est naturelle : ce sont des plumes de faisan doré. Un oiseau en possède seulement 3 ou 4 de chaque côté de sa queue."

Le couturier écume aussi les brocantes, les ventes aux enchères, rachète des stocks de maisons qui ont fermé leurs portes. Sur les étagères de son atelier, dans des cartons en gros kraft, il y a des galons anciens, des tissus lamés des années 1920, des plumes des années Folles dont les teintes, délicieusement nuancées, semblent sorties d'un tableau d'époque.

Il a commencé à collectionner les plumes à l'âge de 13 ans. Pour glaner sa matière première, il va partout, jusqu'en Afrique du Sud pour voir les autruches. Les milliers de plumes collectées lui permettent ensuite de confectionner des robes, des jupons, des boléros. Des pièces rares et précieuses, à la fois fragiles et d'une étonnante résistance. On a vu ces créations portées par Laetitia Casta, Rihanna, Daphné Guiness. Elles habillent aussi les anges de Victoria's Secret.





Cette passion, il la transmet aux élèves du lycée professionnel de la mode Octave Feuillet, dans lequel il enseigne, et aux stagiaires qu'il accueille chaque saison dans son atelier. Dans cette grande pièce de verre et d'acier, autour d'une table haute, les petites mains s'appliquent : elles trient, découpent, collent, des heures. Les mêmes gestes, répétés, avec patience et application. La haute couture apparaît souvent comme un rêve, c'est aussi une école d'humilité.





Crédit photos : Shoji Fujii

stelda

6 commentaires:

  1. Dans ces moments là, j'ai les doigts qui me démangent et une pointe de regret de n'avoir pas continué dans cette voie d'artisanat et de mode dont je rêvais à 17 ans... :)
    C'est une forme de beauté tellement particulière, tellement minutieuse et organique, je donnerai beaucoup pour les voir en vrai!

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    1. Moi aussi! Les matières ou les couleurs peuvent être une vraie drogue... Les plumes étaient encore plus belles en vrai. Et j'étais admirative de la concentration et la minutie des ouvrières. Pendant deux heures, elles sont restées assises à découper ces petites plumes de façon méthodique. C'est incroyable.

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  2. Bravo pour cette video très réussie, tant visuellement que sur le plan sonore. Continue comme ça à rencontrer des gens bien et à nous montrer les résultats de ta récolte. Encore félicitations, très professionnelle !! ;))

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    1. Merci Laurence <3. C'est précieux, ces artisans-artistes et il faut les encourager, les faire connaître.

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  3. Réponses
    1. Oui et c'est aussi une belle personne. Je suis vraiment heureuse de l'avoir rencontré.

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