Exposition Louis Vuitton - Marc Jacobs : un goût de fin de la mode

Je suis donc retournée aux Arts Déco voir cette fameuse exposition. J'ai vu. J'ai pas aimé. Pire, je suis ressortie avec l'envie de pleurer et en me disant que si c'est ça la mode d'aujourd'hui, je ne veux plus en parler ni m'y intéresser.
Je n'ai pas eu l'impression de visiter une exposition mais d'entrer dans une pub géante pour un lavage de cerveau façon nord-coréenne. Vous me trouvez sûrement / peut-être violente...
Développons.
Selon les Arts Décoratifs, l'exposition met en parallèle le labeur ingénieux de Louis Vuitton, fondateur de la marque dans les années 1850 et la créativité débridée de Marc Jacobs :
"Cette exposition présente l’histoire de deux personnalités, Louis Vuitton et Marc Jacobs (directeur artistique de la maison Louis Vuitton), et met en évidence leurs contributions à l’univers de la mode. Comment ont-ils su s’inscrire dans leur époque respective pour innover et faire avancer toute une industrie ? De quelle façon ces deux hommes, avec leur langage propre se sont-ils appropriés les phénomènes et codes culturels afin d’écrire l’histoire de la mode ? 
Plutôt analyse que rétrospective, cette mise en scène Vuitton-Jacobs permet d'éclairer le système de la mode durant ces deux périodes que sont l'industrialisation de la fin du XIX° siècle et la globalisation du début du XXI° siècle. Y sont évoqués les métiers d’art, les avancées techniques, les créations stylistiques et les collaborations artistiques."  - source : site des Arts Décoratifs.
La scénographie, comme souvent dans ce lieu, est sublime. Les murs du premier niveau (celui consacré à Louis Vuitton) sont recouverts de boiseries moulurées peintes de l'emblématique gris Trianon utilisé pour recouvrir les premières malles. A l'étage, consacré à Marc Jacobs, tout est laqué noir. Objets d'époque Empire pour Louis, murs de vidéos pour Marc.
Louis Vuitton - Marc Jacobs - Arts Déco Paris
trousseau de poupées vers 1885 - collections Les Arts Décoratifs
Je suis tombée amoureuse des trousseaux de poupées... oui, j'ai 4 ans! Mais voir des éventails en ivoire de 2 cm de haut, des minaudières en crochet de métal de la taille d'un timbre-poste et de petites chemises de percale brodées grandes comme le pouce, c'est fascinant. Ces poupées étaient mille fois mieux loties que nous, pauvrettes du XXI° siècle.
Suivent de beaux amoncellement de malles d'époque : malles cabine, malles à chapeaux, malle-lit. Et l'historique du fameux tissu Vuitton, gris à l'origine, puis rayé, à damiers et enfin monogrammé.
Du côté de Marco, noir, plexi, vitrines thématiques présentant les inspirations de ses collections. Le brillant, sa "couleur préférée", la femme animal sauvage, les nurses du défilé 2008. Et bien sûr, un retour sur ses collaborations avec des artistes contemporrains (Prince, Stephen Sprouse et Murakami).
Fascinant : le mur présentant 50 modèles remarquables de ces 15 dernières années. Streamer, Alma, Cirrus, Tivoli, Lockit, Sherwood : argenté, recouvert de paillettes, en crochet, en plastique, en peau lainée ou agneau smocké, il y en a pour tous les goûts. Sans parler du fameux sac Tribute, créé à l'été 2007 à partir de 20 morceaux de 12 modèles différents (et fabriqué en 24 exemplaires).
Folles de chaussures, foncez, vous allez vous pâmer devant les modèles mis en scène : bottes brodées ou ajourées, talons perlés, escarpins à patins ou trotteurs à noeud plat, mules bicolores... on a envie de casser les vitrines et de se sauver avec la moitié tous les modèles.
50 sacs emblématiques - source : Purseblog.com
Oui, une exposition belle et ludique. Tous les supports sont explorés : vidéos, croquis, objets de collection, défilés, photos, il y a quelques moments interactifs et humoristiques (comme le mur PeepShow percé de judas par lesquels on regarde les défilés LV).
La mise en scène du travail de création à partir d'un Speedy 30 est aussi une belle réussite. Il y a de magnifiques pièces : la malle-lit, la robe en fleurs de plastique de la collection Eté 2012, celle avec des pièces de cuir nacré et des perles dorées, celle avec des pastilles de cuir noir ou celle en perles façon années 30.
L'expo a surtout le mérite de souligner que le travail de Jacobs est inspiré à 180 % des années victoriennes. Ce qui ne saute pas toujours aux yeux, tant il sait dissimuler ses inspirations techniques sous des appas modernes. Là, devant les robes III° Empire, la référence est impressionnante.

Alors, pourquoi je n'ai pas aimé ? Parce que j'ai trouvé le lien entre les deux personnalités complètement artificiel. Je ne vois pas le rapport entre Louis et Marc. J'ai beau chercher... le seul point commun est que tous les deux ont forgé une formidable machine à cash. Mais ça, ce n'est pas très vendeur comme concept, forcément. Fallait un peu emballer le truc... C'est cette absence de lien qui me donne l'impression d'une pub géante et plus encore d'une escroquerie intellectuelle. Et ça, j'aime pas du tout. J'aurais trouvé plus honnête que ce soit carrément une rétrospective Jacobs dans un lieu privé loué par LVMH. Là, dans un musée public, cet étalage de sacs et de logos Vuitton avait un côté racoleur que j'ai trouvé détestable.
Rien sur la personnalité de Louis dans la première partie. J'ai vraiment vu les malles, les malles, les malles... et pas du tout le fondateur (ceci dit, j'ai peut-être mal regardé).
A contrario de ce que prétendait l'exposition, rien non plus sur les artisans et le travail actuel chez Vuitton. La créativité de Marc Jacobs est seule mise en valeur. Et malgré la beauté des robes et accessoires présentés, sa vision de la femme m'a fait froid dans le dos.
Ce qui me ramène au hiatus entre les deux personnalités. Elle apparait criante. Marc Jacobs a énormément de talent comme directeur artistique mais je ne crois pas qu'il ait inventé quoi que ce soit. Son don principal est de sentir l'air du temps, de le remasteriser et le projeter sur grand écran avec la musique qui va bien. Quel rapport avec Louis Vuitton qui était un artisan et un technicien ? Un homme qui travaillait de ses mains et a développé un produit pratique qui répondait à un besoin, a contrario de Jacobs qui créé un besoin inutile ? L'exposition essaye de nous vendre Louis Vuitton comme un génie marketing... ça me semble aussi crédible que Queen Elisabeth en justaucorps à paillettes pour son jubilé.
 

Quant à Marc Jacobs, je ne pense pas qu'il soit amoureux des artisans d'art. Je pense qu'il ne voit en eux que des hommes-outils à même de réaliser ses fantasmes créatifs.

J'avais adoré le dernier défilé Vuitton. Mise en scène incroyable, musique sublime, cette idée du voyage et des sacs divinement mis en valeur (portés par des bagagistes suivant les mannequins). Mais après avoir vu l'exposition, la magie s'est envolée.
Oui, il y a un côté onirique, fantasmagorique mais avec un goût de fin du monde. Je me suis trouvée face à une mode complètement déconnectée de la femme, de sa vie, de son corps. Une mode qui modelait une femme fantasmée comme une poupée de chiffon, mise en scène dans le seul but de vendre, encore et encore, de créer une image bancable, une addiction à un luxe artistique et monnayable. Et j'ai ressenti un terrible mépris de la cliente en tant que personne.
Le meilleur au service du pire, est-ce que ç'a vraiment un sens ?

Louis Vuitton - Marc Jacobs : Exposition au Musée des Arts Décoratifs, 107 rue de Rivoli, Parris (1°) - jusqu'au 16 septembre 2012.

stelda

20 commentaires:

  1. Bon au moins c'est clair, tu ne me donnes pas envie d'y aller. J'ai eu la chance de visiter le musée Vuitton à Asnière, je suis tombée sous le charme de l'esprit inventif de cette famille
    Bon moi Jacobs, j'aime pas, je l'ai jamais accroché du reste
    Gros bisous
    http://www.le-blog-enfin-moi.com/

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    1. Je n'aime pas l'esprit actuel de vuitton. Mais je voulais la voir parce que je savais que ça serait très beau. Ca l'est en effet... mais en sortant, j'ai regretté de ne pas être plutôt retourné voir Alaïa ;-)
      Gros bisous!

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  2. Oui, ce qui est le cas d'autres Maisons...Il faut être rentable au détriment de certaines valeurs. Ton point de vue me donne envie d'y faire un tour quand même (en fait j'ai craqué sur les frusques de poupées).

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    1. Je ne voulais pas du tout dissuader de la voir, au contraire! Elle est magnifique et on voit le beau travail réalisé chez Vuitton. Et puis c'est salutaire de voir une marque autrement...
      Et rien que pour les habits de poupées, oui, vas-y ;-)

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  3. Oui Stelda, vous avez raison, je le sens intuitivement... Je n'irai pas voir l'expo, mais je jetterai un oeil au catalogue d'expo à la bibliothèque nationale. Etant historienne de profession, je suis toujours fâchée de voir combien on instrumentalise le passé et la mémoire d'une grande maison au profit de la célébration du présent... mais bon, la mode de Jacobs est avant tout une grosse industrie et il lui faut bien vendre des sacs, n'est-ce pas ;-) ?
    Merci pour cet article sensible, franc et très intéressant. Nina

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    1. J'ai essayé d'être honnête parce que cette expo m'a vraiment fait réfléchir. Vous avez trouvé les mots exacts Nina : instrumentalisé le passé ; et l'historienne de formation que je suis aussi ne le supporte pas non plus!

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  4. Valérie { Atelier rue verte }13 juin 2012 à 07:56

    Encore une fois un bel article ... plus que sincère !!!! Bisous !

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  5. Au vu de ton résumé, j'irai y faire un tour si je m'ennuie terriblement. Je suis en train de lire "Luxe and CO" et je viens de lire toute la création de Vuitton.
    Surtout au Musée des Arts décoratifs, certaines expositions sont très décevantes. J'étais aller voir avec mon fils la rétrospective Playmobil : j'avais l'impression d'être dans un super marché du jouet. rien d'interressant sur la création, l'histoire.
    Dans ce musée, je me r'attrappe sur la collection de bijoux et le design.

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    1. Cet expo complète admirablement le livre Luxe & Co! C'en est une démonstration éclatante.
      Le livre te plait ?

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  6. J'ai découvert votre blog récemment, par l'intermédiaire de l'un de vos commentaires chez Modepersonnel(le). Je me suis fait une bonne partie de vos archives ;-)
    Votre article rend bien l'impression que j'avais eue de la présentation de cette expo, et du coup, je n'y suis toujours pas allée alors que je suis parisienne. Il y a tant d'expos ici et les entrées sont plutôt chères, je préfère me réserver pour d'autres. Il y a eu de très belles expos mode aux Arts Déco, comme Schiaparelli, Vionnet, les bijoux art déco... J'espère que vous n'avez pas raté l'an dernier l'expo Madame Grès au Musée Bourdelle !

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    1. Oui, parfois nous avons des antennes pour lire entre les lignes, n'est-ce pas ? Et un bel enrobage n'arrive pas à nous convaincre ;-).
      Je n'ai malheureusement pas vu l'expo Grès et je le regrette.
      Merci beaucoup pour votre gentil commentaire et votre visite, Gaëlle : j'avoue que j'affectionne particulièrement Mode Personnel(le) qui est drôle, fine et très bienveillante, légère sans jamais être superficielle.
      A très bientôt j'espère ;-)

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  7. Billet qui méritait bien la Une! Je partage ton point de vue, je pense que l'expo m'aurait exaspérée aussi.

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    1. Mais pas du tout, elle t'aurait enthousiasmée : c'est le plus bel exemple d'imposture qui soit :D

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  8. Ton résumé ne donne pas du tout envie d'y mettre les pieds... mais au fond, je me doutais bien que Marc Jacobs, l'incarnation d'à peu près tout ce que je déteste dans la mode de cette époque, n'avait rien à voir avec Vuitton. Qui fabriquait des sacs utiles, solides et intemporelles et non de chiffons qui se démodent le mois d'après.
    Bref, c'est finalement une expo qui renvoie un peu l'image de la mode d'aujourd'hui, non ?

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    1. Tout à fait Morgane et c'est ce qui m'a donné envie de pleurer : je veux croire qu'il existe aujourd'hui une autre vision de la mode, plus sensible et attachante.

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  9. J'ai éprouvé la même gène en allant voir la dernière exposition aux arts déco sur Goude. Je pense qu'effectivement ces créateurs sont aux antipodes d'un Allaïa. Lui sublime la femme. Il idéalise ce corps pour le bonheur de toutes. La démarche de Jacobs me semble servir d'autres intérêts, effetivement. Je te remercie pour ce commentaire qui a le mérite de remettre les choses à leur place.

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    1. Pourtant, elle semblait somptueuse!! Et là aussi, j'avais regretté de manquer ça.
      Oui, Alaïa est un artisan ; il a préféré garder un petit atelier, une boutique dans un quartier pas tapageur mais qui lui correspond. Et je respecte beaucoup cette honnêteté.
      Merci à toi, Birgitt ;-)

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  10. Hé hé j'ai pas eu longtemps à attendre vu que j'étais méga à la bourre dans tes articles nyark !
    Eh bah dis donc ça donne pas du tout envie de la voir cette expo...!

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    1. Je pense que c'est l'ultra logotitsation des produits LV qui donnent cette impression désagréable. C'est... tellement agressif visuellement! Mais ça m'a permis d'étayer mon opinion sur le travail de Marc Jacobs alors je suis quand même contente de l'avoir vue.

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