Luxe and Co

Je l'ai lu il y a 2 ans. Depuis, je n'ai plus jamais regardé un vêtement ou un sac de la même façon.



Pourtant, je connais (un peu) les dessous des marques.  J'ai connu quelques créateurs à leurs débuts, j'ai des amies qui faisaient fabriquer en Inde leurs collections, je connais le fonctionnement d'un petit atelier de luxe. Et je suis tombée de haut. Je n'avais jamais réfléchi à l'industrialisation du luxe.

C'est le coeur du problème : le luxe, c'est rare, unique, le contraire de la "vulgarité" au sens de ce qui est banal, vulgarisé. Or, peut-on dire aujourd'hui que des lunettes ou un foulard Prada, Burberry ou Dior soit "rare" ? Lors de leur création il y a 50, 100 ou 150 ans, les maisons actuelles étaient ce qu'on appelait des faiseurs, des artisans qui maîtrisaient parfaitement l'art de coudre, tailler, monter, broder... Rachetées une à une depuis les années 80, elles sont devenues des marques. Et tout a basculé.

Dana Thomas explique comment le luxe est passé de maisons de savoir-faire à complexes industriels. L'objectif était de faire le meilleur produit possible, aujourd'hui il s'agit de faire le meilleur profit possible, souligne-t-elle.

Journaliste américaine vivant en France, Dana Thomas a un CV long comme le bras (elle a écrit dans le New York Times, Newsweek, Vogue, Harper's Bazaar, Los Angeles Times...) et malgré un sujet très polémique, son livre sorti en 2007 reçoit d'excellentes critiques. Ultra documenté, entre essai économique sur l'industrie de la mode et étude sociologique, Luxe and Co décortique le luxe actuel.
C'est comme si elle démontait une jolie horloge devant nous. Après ce livre, plus rien ne nous semble pareil.

Elle explique par exemple la naissance du Vuitton moderne : un des héritiers, issus de l'industrie lourde, appliqua aux sacs à mains les techniques qu'il avait validé dans ses aciéries. Puis Arnault compris l'intérêt  de la chose, racheta Vuitton et poussa cette industrialisation et le marketing de masse à son paroxysme. Une recette gagnante pour lui mais pas pour le client lambda qui bénéficie aujourd'hui d'un luxe de pacotille : fabrication à la chaîne en usine, matières premières cheap, finitions parfois hasardeuses. 
Au-delà des révélations sur les conditions de travail des salariés (vendeuses en boutiques comme ouvriers en usine) c'est le mensonge véhiculé par de nombreuses marques qui choque le plus. Acheter un trench Burberry fabriqué en Chine, au côté d'un trench Etam, où est l'intérêt ?? Oui, la coupe sera plus jolie, les détails plus recherchés... mais on n'est plus dans le luxe. On est dans le foutage de gueule. 
Un foutage de gueule à 900 euros, le prix de notre naïveté. Je ne nie pas les aspects positifs des marques actuelles : leur créativité, leur folie, leur légèreté, le rêve qu'elle distille par leurs publicités bien faites. Tout ça est très joli, je m'extasie souvent sur un modèle ravissant, une pub sympa. Il ne s'agit pas de jeter le bébé avec l'eau du bain mais d'être lucide sur l'usurpation actuelle du mot luxe et ses effets pervers.

On peut l'écouter dans cette interview sur France 24

Pour 8 euros environ en format poche, offrez-vous le luxe de lire son livre!

Luxe & C° : Comment les marques ont tué le luxe - Dana Thomas (éditions J'ai Lu).

EDIT 15/10/2012 -  Pour aller plus loin : Les Petites Mains du Luxe, enquête du Magazine M

stelda

27 commentaires:

  1. Je ne sais pas si tu as lu Gomorra de Roberto Saviano, mais il parle des ateliers de confection clandestins en Italie dirigés par la Mafia dans lesquels ne sont pas seulement réalisés le tout-venant mais aussi des articles de "luxe", qui n'en ont plus que le nom, de marques prestigieuses. Edifiant !

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    1. Oui, j'ai vu le film. C'est vrai que le made in France ou le made in Italy n'est pas forcément synonyme d'éthique, hélas! Il y a aussi des ateliers clandestins en France :(

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    2. Bonjour, j'ai également luxe "Luxe & co" ainsi que "Luxe Oblige" , j'en ais préparé une thèse que j'ai synthétisé en article sur mon blog : http://jdstrasbourgeoise.blogspot.fr/

      Si cela peut t'intéresser.

      En tout cas bravo pour ton article .

      Jdstrasbourgeoise

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    3. Bonjour Laura,
      je vais vite lire ton article. Merci beaucoup!

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    1. C'est un livre qui permet vraiment de comprendre tout le processus économique du luxe actuellement. Tu me diras si tu as aimé ?

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  3. Oh merci ! J'en avais entendu parler mais pas acheté. Je vais réparer cette erreur. Oui, les marques de luxe ont tuées la poule aux oeufs d'or. Mais il y a encore , Dieu merci des designers exigeants qui arrivent à trouver des fabricants. Ils en deviennent d'ailleurs au fil des années découragés et amers. C'est pourquoi l'artisanat et les petites maisons à deux employés sont en train de supplanter, en terme de désir auprès des clients et de succès, ces grands noms qui effectivement font du foutage de gueule.

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    1. Je pense que tu vas adorer. Et l'interview étant un excellent résumé, je n'ai pas trop détaillé le livre dans l'article.
      Oui, beaucoup sont fatigués de lutter contre les prix surgonflés et la poudre aux yeux, comme tu dis, ils deviennent amers. Et le client est lui de plus en plus déçu par la qualité des grandes marques et râle de son côté... Tout le monde y perd!
      Je pense en effet que l'artisanat de qualité et les petites maisons vont prendre doucement le relais, car tout a une fin. Même le pire ;-)

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  4. Super plan, mais quelle tristesse de ne plus pouvoir rêver, après...

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    1. C'est vrai : ça casse drôlement le rêve. Et ça, ça devrait aussi être puni par la loi!

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  5. Ca m'intrique ce livre maintenant.

    http://myhomeproject.over-blog.com/

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    1. Si tu as vu l'interview et qu'elle t'a plu, fonce :)

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  6. Hop, je note. Il va direct aller sur ma pile de "livre à lire" :)

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    1. Connaissant un peu tes goûts, je pense que tu ne seras pas déçue ;-)

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  7. Je vois les choses différemment.

    Les marques ont selon moi sciemment divisé le marché du luxe en 2 catégories. Le luxe que désormais on peut à peu près toutes s'offrir (un foulard, un bracelet, un parfum, un sac premier prix d'une grande marque, un vernis à ongles, un trench burberry en outlet). Les marques n'ont fait que s'adapter à une demande et y répondre. Et malheureusement, je pense que pour pas mal de personnes qui s'offrent du luxe pas cher c'est surtout s'offrir un logo voyant, peu importe la qualité. Et les marques l'ont bien compris, quitte à vendre leur "âme". Cette clientèle n'aurait pas pu s'acheter du luxe autrement, donc tant pis si elle est déçue, elle n'était de toute façon pas la clientèle cible à la base.

    Le vrai luxe reste quant à lui toujours inaccessible et fabriqué avec soin (je pense à la haute couture, aux beaux sacs Hermés) et là la clientèle n'est pas déçue.

    Bon c'est une analyse qui vaut ce qu'elle vaut. Mais quand je vois fleurir dans mon entourage (pourtant pas "prédestiné" au luxe) les speedy vuitton et les polos burberry..

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    1. Oui, tu as raison : les marques font en réalité du mass market avec des produits dits "de luxe". Mais je crois que les marques ont créé la demande ; en 1989, à part les vieilles douairières du 17°, qui rêvait d'un sac Vuitton ? absolument personne! Les entreprises ont créé l'envie, partant de la soif d'identification sociale de toute une génération en recherche d'identité.
      Et comme tu le soulignes, il reste un vrai luxe, et il y a de nouveaux luxes, qui émergent peu à peu : la nature a horreur du vide :D.

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  8. Il a l'air super intéressant ce livre !

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    1. Il est passionnant! Je l'ai dévoré en 3 ou 4 jours. Il a l'intérêt de reprendre aussi des bases d'économie et de marketing;

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  9. Je vais me le procurer, tu y faisait déjà référence dans un de tes précédents articles, merci pour la piquouse de rappel, des bisous.

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  10. Je vais suivre tes conseils et acheter ce livre qui me semble passionnant.
    Bisous

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    1. Tu me diras ce que tu en as pensé, Sylvie ?
      bisous !

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  11. TOn article percutant comme toujours me confirme dans cette impression que nous sommes arrivés au tournant. C'est d'ailleurs le positionnement de nombreux jeunes créateurs qui se lancent dans le plus discret, moins paillettes et incroyablement plus qualitatif. On voit ça sur la sélection de l'exception: ils ne proposent pas de produits avec un grand discours tralala derrière, mais de très belles pièces, simples et en petites quantité. Retour à l'humilité

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    1. Retour à l'humilité et à l'objet. C'est un peu triste de faire des objets vides de sens... à quoi bon lancer une nouvelle marque si elle est fabriquée comme sa voisine, distribuée pareil, vendue sur les mêmes illusions ? Pour le coup, si on vend du "concept", autant vendre un tableau, de la musique...
      Je rêve d'ouvrir un petit frère de Centre Commercial à Tours ;-)

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