Quand Karl secoue Coco


Au cours de mon dernier entretien d'embauche, la recruteuse m'a demandé "qui aimeriez-vous être ?". Je passe sur le fond de la question, que j'ai trouvé particulièrement stupide (du même tonneau que les questions précédentes : vos 3 qualités, vos 3 défauts, votre pire souvenir professionnel,...), elle espérait sans doute que je réponde "vous". Histoire de pimenter un peu le débat, j'ai répondu "Karl Lagerfeld".
Bien sûr, je n'ai pas été retenue. Soit elle connaissait le personnage et a refusé de choisir une candidate mégalo, suffisante et égocentrique mais géniale, soit elle ne le connaissait pas et s'est sentie suffisamment humiliée que je pointe du doigt son néant culturel pour se venger en me refoulant (vu son style vestimentaire hasardeux, j'opte pour la 2° option. Qui correspond mieux à ma modestie naturelle).
Je savais avant même de le citer que Karl était le pire exemple à donner. Je voulais choquer. Et mon interlocutrice était aussi prévisible qu'une dinde à un réveillon de Noël.


Karl, c'est le pire du meilleur. Comme Madonna, Lady Gaga ou Michael Jackson, il fait partie du cercle très fermé des stars si caricaturales qu'en les croisant dans la rue, on pensera voir leur sosie. Il le dit lui-même : « Je suis comme une caricature de moi-même. C'est comme un masque. Pour moi le Carnaval de Venise, c'est toute l'année».

Né dans les années 30 (mais Karl parvient encore à cacher l'année exacte : 1933 ou 1938...), dans une famille prussienne aisée et cultivée, Karl L. fait l'Ecole de la Chambre Syndicale de la Couture. Il se fait connaître en reprenant les rênes de Chanel en 1983. La marque est vieillissante, au bord  de la fermeture. Les tailleurs de tweed gansés n'hantent plus guère que les rues du 16°...
Karl dépoussière le mausolée de Coco en réinjectant une dose de bling bling (rappelons-nous les gros clips dorés, les fausses perles taille XXL...), et surtout, idée de génie, choisit Inès de la Fressange comme égérie. Son allure aristocratique, sa ressemblance frappante avec Gabrielle et sa légèreté d'esprit réveillent instantanément le sex appeal de Chanel ; la veste éponyme, portée sur un jean, devient l'emblème de la nouvelle parisienne. Et le style effortless est né. Un retour aux sources, donc, puisque c'était la motivation originelle de Coco Chanel.
Après s'être égaré auprès de quelques it-girls de pacotille, Karl se recentre et rappelle une autre de ses muses : Vanessa Paradis, le petit piaf mutin et charmant de Coco. Un choix particulièrement judicieux car Vanessa est l'une des icônes mode préférées des françaises de moins de 50 ans. Chanel est aujourd'hui la référence chouchoute des jeunes femmes dorées (ou prêtes à se priver de beurre dans leurs épinards, voire d'épinards).
Karl L. n'a pas l'explosion créative de Galliano, McQueen ou Gauthier. Son style personnel, visible dans ses collections éponymes, est froid, sombre, austère et n'a jamais ébloui le public. Mais sa force de travail, son professionnalisme exarcerbé, son perfectionnisme maladif lui ont permis d'atteindre les sommets et de dirriger d'une main de fer le joyau de la Haute Couture française (en gardant en parallèle la direction de  Fendi).
Au fil des années, Karl L. est certainement devenu la pire commère de la mode. Ton cinglant et verbe acéré, il adore épingler ses confrères, les it-girls ou tel phénomène mort-né. Comme dans cette interview : à partir de la 10° minute, Karl casse Coco avant d'embrayer sur sa vision de la mode (dans la première partie, Karl parle de sa jeunesse).

attention, l'interview dure 20 mn

Mais malgré cette liberté apparente, Karl L est un suiveur comme les autres. Qui relooke les bouteilles de Coca, Libé, Métro, shoote des it-girls et promeut des it boys qu'il jette ensuite. Et hurle souvent avec les loups... Dommage qu'un esprit aussi fin n'ait pas plus de finesse de coeur. Et une provocation plus constructive.
« La mode n'est ni morale, ni amorale, mais elle est faite pour remonter le moral. », dit Karl L. C'est vrai et on l'oublie souvent, dans notre société ultra moralisatrice. Mais la mode peut aussi être vecteur d'éthique, comme toute chose. La participation du styliste à la campagne de la sécurité Routière a eu un impact notable. Il pourait de même mettre un peu de diversité sur ses podiums ou ses photos. Comme Gauthier, McQueen ou Anne-Valérie Hash. J'aime beaucoup le style Chanel mais ce côté lisse devient glaçant ; et risque de le déconnecter une nouvelle fois de la société : une égérie cool ne suffit pas toujours à créer un lien... Et cacher les noires, les arabes, les asiatiques, les grosses, les petites, les vieilles, les handicapées (soit, l'ensemble cumulé, 99 % de la société) frise le déni.

Karl, si tu mettais un peu plus de fantaisie et moins de cérébral dans ton ouvrage ? Mais bon, ce ne serait plus Karl...
vitrines Chanel du Printemps Haussmann
Le pire de ses citations :
« Je suis une improvisation totale. » (c'est ça, comme Madonna qui est brushée au saut du lit... prends-nous pour des poulets de 6 jours!) 
« Ma curiosité est insatiable, je vampirise l’air du temps. » (et un peu les autres, aussi...) 
« Je ne veux pas me poser trop de questions parce que j'ai trop de facilités avec les réponses. » (on a dit suffisant ?) 

« Je veux bien être gentil mais je ne veux pas que ça se voie. » (t'inquiète, personne ne le voit)


« Je ne veux pas être une réalité dans la vie des autres, je veux être comme une apparition. » (voilà qu'il se prend pour la Vierge! Par ailleurs, sur ce coup-là, c'est du plagiat : c'était déjà le complexe de La Marchesa Luisa) 
« La mode n'est pas faite pour les cloches, alors dites a Aymeric Brias d'aller sonner Pâques ailleurs que chez moi » (mouahhhh, ça c'est envoyé, Karlo! Je garde ça sous le coude...)
« Je me souviens d'une créatrice qui disait que ses robes n'étaient portées que par des femmes intelligentes. Évidemment, elle a fait faillite. » (à voir son succès, Karl n'habille que des QI de 25. Je ne me sens pas concernée, je suis trop pauvre pour du Chanel) 
« Je déteste avoir des conversations intellectuelles, seule ma propre opinion m'intéresse. » (on te croit volontiers)
Quand Karl assène que personne ne veut voir de gros (grosses) dans la mode, il en fait une brillante démonstration.
 Autrefois raillée par le public, sa nouvelle silhouette l'a propulsé en it-man
Et parfois, il tombe drôlement juste :
« Est-ce que je sais combien j'ai sur mon compte bancaire ? Mais c'est une question de pauvre, ça ! » (C'est vrai. Les riches n'ont pas besoin de compter, ils en ont seulement l'envie.)
« Mon plus grand luxe est de n’avoir à me justifier auprès de personne. »
« Parlez-moi des 25% de jeunes filles en surpoids, ensuite on parlera des 2% d'anorexiques. » 
« Le luxe, c'est la liberté d'esprit, l'indépendance, bref le politiquement incorrect. » 
« Si vous jetez l'argent par les fenêtres, faites-le avec allégresse. Ne dites pas on ne devrait pas, ça fait bourgeois. » 

stelda

16 commentaires:

  1. J'ai envie de te serrer dans mes bras aussi! Coco et Karlo, mouahhhhh
    Ce mec a du génie quoique tout le monde dise. Et l'élan qu'il donne à Chanel, glacial, froid, distant, pompeux, prétentieux est juste à l'image de la créatrice ; finalement il ne déroge pas et est fidel à Coco. Bravo.

    Je suis overméga d'accord avec lui sur les 2% d'anorexiques et les 25%d'obèses...

    Pour finir : "La mode se démode, le style, jamais.
    Ah, sacrée Coco!

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  2. bien d'accord avec sa phrase sur les anorexiques; le pb du surpoids est à mon avis bien plus néfaste sur la santé des gens que l'inverse (au moins en terme de %!!). Et qu'on ne me dise ps que c'est les hormones: l'autre jour au salon de thé il y avait une fille qui devait avoir bien 20 ans de moins que moi, mais 50kg de plus. Elle a pris quoi, à 18h?? un chocolat liégeois avec 10cm de chantilly + une tarte à la chantilly. Un séjour de 3 semaines en Afrique à manger du blé kamut, et je prends les paris qu'elle aura plus de pb d'hormones....

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  3. @ Bre : c'est fou, ça! tu es addict à Karlo, ma parole :D; En effet, il est Coco réincarné (même s'il la traite de vieille peau...)

    @ Jicky : je connais des personnes qui font ça :D

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  4. Un détestable génie.. j'adore cet article et Karl.. faut bien le dire! ;-)

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  5. Pour moi, ce n'est pas un génie, justement. Mais un travailleur si infatigable qu'il a su pallier à cette absence de génie par une excellence qui confine à la perfection... C'est sans doute ce qui le rend exaspérant! la perfection, c'est fatiguant pour les autres ;-)

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  6. Comme toujours, tes articles sont vraiment captivants, j'apprends pleins de trucs sur le monde de la mode et j'en redemande!!
    (dis donc j'avais jamais vu K.L gros XD)

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  7. @ Pipou : chouette, chouette! j'avoue être tellement passionnée que j'ai toujours peur de saouler mon entourage :D Hé oui, Karl gros, c'était d'un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître... bisous, Pipou!

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  8. Ou comment en savoir toujours plus... Je plussois Pipou :)

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  9. Je te découvre par l'intermédiaire de notre karlounet " l homme qui s'auto-digère" et ma foi... c'est un plaisir double.

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  10. Si je ne m'abuse, il est du signe zodiacal de la vierge, un sens de l'humour au 6 ème degré, qui exaspère ou qui plait, cela dépend, ce qui est sûr, le personnage ne laisse pas indifférent, j'aime le renouveau qu'il a su insuffler dans cette vieille maison, même si pendant un certain temps il partait dans le côté trop bling bling, bisous.

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  11. Tu es la meilleure Stelda ! je t'aurai embauchée les yeux fermés !!

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  12. haha je pense qu'il vaut mieux que tu n'aies pas été retenue, tu te serais flinguée si tu avais dû travailler avec cette personne ! (est-ce qu'elle avait trouvé son questionnaire d'embauche sur Internet?)

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  13. @ Zoé : merci, tu es toujours aussi adorable ;-) Mais j'ai l'avantage de l'âge, 20 ans déjà de délires fashion dans la tête!

    @ Mlle Ocytocine : je suis ravie de cette rencontre ;-) "L'homme qui s'auto-digère" : l'expression est très juste, c'est tout à fait ça!

    @ Blandinette : j'adore son humour au 6° degré, je crois que c'est ce que je préfère chez lui. Des bisous!

    @ Dadette : ben t'es pas objective... tu m'avais pas vue dans ma vilaine jupe grise ce jour-là: je ne me serais pas embauchée moi-même :D

    @ Un Carnet sans Pages : c'est tout à fait ça! et je pense que je me suis sabordée pour éviter le pire :D... A mon avis, elle a trouvé non seulement son questionnaire mais aussi son look sur internet... grâce aux quizz de Femme Actuelle! su

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  14. Très bel article !
    J'aime beaucoup les citations que tu as choisies ...

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  15. Merci, Fée pas ci, fée pas ça! J'avais l'embarras du choix, Karl est une machine à "piques" ;-)

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