Galliano, tu sers trop à rien!

Dior, Arnault y tenait comme à la prunelle de ses yeux, c'était le diamant de sa couronne, son premier jalon dans le luxe. Il assistait à chaque défilé et fermait les yeux sur toutes les folies de Galliano (son défilé Clochards en 2000, ses apparitions tape-à-l'oeil, ses mises en scène somptuaires...).  
Jusqu'à février dernier, où la goutte d'alcool fait déborder le vase. Exit Galliano. 
On dit que la colère est mauvaise conseillère... et le retrait du styliste gênant en est la preuve. Des agences de communication ont jugé la gestion de crise de Dior exemplaire, je ne partage pas du tout leur point de vue. La maison de couture met le temps à remplacer son chef d'orchestre. Et la danseuse se transforme en poulet qui courre sans tête.
Parce que c'est bien gentil de passer Galliano le problème à la trappe mais quid de la suite ? Communication de crise, peut-être ; mais anticipation, zéro! Compétence peu pratiquée en France, à vrai dire. On s'émeut d'abord, on réfléchit ensuite. Dior a joué les grandes bourgeoises chassant son majordome, "Albert, je vous donne vos 8 jours! Faites vos paquets, mon garçon!"... et puis fait la tronche lorsqu'elle se retrouve obligée d'ouvrir la porte aux fournisseurs.

Pour beaucoup de monde, Galliano était une star qui ne servait à rien. Pas pour moi. Un artiste sert à quelque chose. Il y a beaucoup d'excellents fabricants qui ne deviendront jamais de grandes marques parce qu'il leur manque un maestro, celui qui a ce souffle de folie.
Combien de temps une maison de couture peut-elle survivre sans DA? Techniquement, le talent et la technique exceptionnelle de l'atelier suffisent à créer les collections. Mais le Directeur Artistique, lui, va insuffler la ligne directrice.

Il est chargé de raconter une histoire, d'insérer les prouesses techniques dans un rêve concret. Une collection ne se résume pas à une série de vêtements, ça se saurait, (et ça s'appellerait du prêt-à-porter et encore, le joli prêt-à-porter raconte aussi une histoire, sinon c'est du prêt-à-jeter et ça s'appelle H&M).

La collection Eté 2012 est parfaite, mais sans histoire. Ou plutôt, j'y lis l'histoire d'une femme sans histoires qui part en voyage avec son petit sac et sa jupe beige. C'est ma vie. Et regarder ma vie défiler, ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est la vie d'une autre, femme fleur, écuyère édouardienne, japonaise picaresque ou demi-mondaine pleine d'esprit...
Dior Printemps Eté 2012
Dior Printemps Eté 2012
Dior Printemps Eté 2011

Dior Printemps Eté 2011

Selon le Women’s Wear Daily, Marc Jacobs aurait décidé d’interrompre les négociations entamées avec Dior. D'autres stylistes reconnus, approchés par le label français, auraient renoncé à cette opportunité, tels que Phoebe Philo (Céline) ou encore Riccardo Tischi (Givenchy). Pour quelles raisons ?
Quatre hypothèses :
  1. Ils réclament des conditions de travail somptuaires : des sleepers siglés CD à disposition au studio / des savonnettes parfumées à Miss Dior Chérie / du thé Dammann et des petits sablés de chez Bogato pour leurs goûters... et Dior a renoncé à suivre (en même temps, si le prochain DA multiplie lui aussi le nombre de boutiques par 15, le calcul est idiot)
  2. Ils ne se sentent pas à la hauteur pour assurer après Galliano (j'ai un doute sur cette hypothèse, John est un génie mais c'est pas Dieu non plus, hein, faut rester calme et nul est irremplaçable, la preuve : Galliano a remplacé Dior et un autre le remplacera, nan mais oh!)
  3. Ils ont présenté des exigences démesurées : une affiliation à une Protection Juridique Vie Privée et Vie Professionnelle en cas de procès et à une mutuelle qui couvre les frais d'hospitalisation longue durée (en cas de décompensation). 2 risques liés au poste, je pense que tout le monde en admettra le bien fondé.
  4. Dior leur a proposé des primes en nature (un flacon de Poison / d'Eau Sauvage par kilo de sac vendu) : avantage qui n'a pas convaincu les stylistes pressentis.
Plus sérieusement :
  1. les exigences de résultats sont si draconniennes que le candidat fuit en courant. Surtout un styliste ayant un peu de bouteille, déjà une place reconnue et pas forcément envie de refaire ses preuves (sans parler de l'humanité du licenciement du prédecesseur, qui a de quoi refroidir).
  2. Autre hypothèse : Dior a un remplaçant sous le coude et maintient le suspense pour faire monter la pression et obtenir une couverture maximum pour les prochaines collections (s'ils en sont réduit à ce type d'expédient, c'est pitoyable).

Dior Couture Hiver 2012
Dans tous les cas, cette vacation est un mystère. Je ne comprends pas qu'une maison comme Dior, qui a  des milliers de salariés, un CA de plus de 800 millions d'euros, n'anticipe pas ce genre de pépin. A défaut de péter les plombs, le styliste aurait pu se faire écraser par une voiture. Ou être hospitalisé, comme Decarnin, le DA star de Balmain.
Si je pouvais voter pour un styliste, je choisirais Gaultier, qui a su si bien réveiller Hermès
 sans en dénaturer l'esprit. Aucune chance pourtant qu'il soit approché, puisqu'il fut l'un des rares à refuser de tirer sur l'ambulance lors de "l'affaire Galliano".
Et s'il ne manque pas non plus de créateurs inconnus et talentueux, il y a peu de chance que Dior leur offre une chance.

Je vous laisse comparer les deux dernières collections Couture Hiver, celle de Galliano en 2011 et celle de 2012. Que je trouve très décousue. Avec son côté cirque, j'ai l'impression d'assister à une mauvaise blague, qui me rend triste.
Galliano était souvent à cheval entre le baroque et le kitch, l'excès de ses modèles frisait le mauvais-goût mais il y avait toujours un détail qui éblouissait, qui faisait pardonner le reste. Et aimer l'ensemble.



Dior Couture Hiver 2012

Dior Couture Hiver 2011

stelda

14 commentaires:

  1. Galliano et JPG sont des génis, incontestables et pourtant si contestés... Qu'importe, je trouve que ton article redore un peu son blason, à John, et revoir les images de 2011, ça me coupe le souffle, c'est magnifique.
    La Maison Dior n'a aucune solution. Elle veut reprendre John, mais politiquement ne peut pas... ça sent mauvais (à qu'à voit cette collection toute timide et fadasse de 2012!)

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  2. Effectivement, la collection été 2012 est bien fade je trouve à côté de Galliano...

    Mais bon, Dior ne pouvait décemment pas le garder après ce qu'il a fait!!

    Encore un très bon article comme d'hab :)

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  3. Sans conteste la collection 2012 est archi fade !
    Perso j'adore la folie créatrice de Galliano, il en ressort des modèles d'exception. Avant tout les défilés font briller nos yeux ! Là mes yeux n'ont aucun choc visuel stupéfiants !
    Je le regrette beaucoup ......

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  4. @ Bree : oui, c'est en effet le bruit qui court... mais comme tu dis, ils sont coincés!
    heureusement, JPG est encore là : son défilé dans la rue, c'était une idée formidable!

    @ S : merci, Yaya ;-) Dans la collection 2012, c'est l'absence d'ambiance et de mise en scène qui m'ont frappée.

    @ Lilly : c'était les défilés les plus époustouflants des 10 dernières années...snif!

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  5. Stelda, j'adore ton article !
    Même si je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi concernant Galliano, dont je n'ai jamais apprécié ni les créations ni les frasques (modesques ou alcoolisées), mais qu'il n'y ait toujours pas de DA chez Dior, ça c'est vrai que c'est assez étonnant. Wait and see, donc...

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  6. @ Béa : merci! Oui, j'ai bien conscience que le travail de Galliano est particulier et je comprends qu'on n'aime pas du tout (voire qu'on déteste!) ;-).
    Si tout le monde aimait les mêmes choses, la vie serait d'un triste... pfff!
    Mon mari (très imaginatif) a une thèse : Dior cherche un DA ayant une gueule aussi spectaculaire que Galliano. Si ce n'est que ça, je veux bien postuler (quitte à me coller une p'tite moustache et à me teindre en blonde).

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  7. Olala oui la différence avant/après Galliano est flagrante!! La collection 2011 est vraiment carrément mieux!!

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  8. J'avais peur de manquer d'objectivité, j'avoue, Pipou ;-).Et 2011 n'était pas le meilleur cru à mon sens, Galliano commençait à s'essouffler.

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  9. C'est difficile cette histoire, tant humainement que stylistiquement. Humainement c'est affreux, avant, je ricanais souvent en parlant de Galliano, maintenant je le défendrai quoi qu'il arrive. C'est d'une lâcheté inimaginable de procéder à un lynchage public pareil. Dior aurait dû régler ça de façon discrète.
    D'autre part, même s'il est évident que le travail de Galliano était toujours un peu glissant, il savait néanmoins créer le spectacle et rassembler les énergies. Les survivants de l'équipe tentent de refaire la même chose sans lui, et c'est là où on se rend compte que ce ne sera jamais la même chose.

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  10. Bref l'ensemble me paraît d'assez mauvaise presse pour LVMH. La légende dit que la maison Dior tue ses vedettes (quoique Marc Bohan a bien survécu), c'est peut-être ce que redoutent les successeurs possibles: d'y laisser et leurs peau et leurs tripes (c'est gracieux n'est-ce pas?).

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  11. Eudoxie, ce n'est peut-être pas gracieux mais c'est réaliste.
    Je pense qu'il faut avoir pas mal de tripes pour prendre un poste aussi exposé.
    Quant aux méthodes de LVMH, je pense qu'elles ne sont pas réputées pour leur glamour humain, malheureusement. Mais ça n'a jamais ému grand monde :(

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  12. Bien l'idée de montrer les deux collections. C'est ce qu'on appellerait en mathématiques, une démonstration flagrante.
    J'adorais Galliano, cette créativité géniale. Il a le talent de partir dans tous les sens tout en gardant une sublime harmonie. Pas donné à tout le monde. Mac Queen était comme ça aussi.
    Pas facile en effet de le remplacer. Et puis... l'image de Dior s'était affirmée avec Galiano. C'est un style qui a sa clientèle. Cossu, bling-bing.. à des années lumière de du style de Phoebe Philo. Prendre Jacobs ou Philo,c'est prendre leurs style. Or pourquoi les permuter de Vuitton-Céline à Dior? quel intérêt ces chaises musicales? Jacobs chez Dior ne va pas se mettre à faire du Galiano subitement. Oui , c'est un beau sac de noeuds cette histoire.

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  13. C'est sûr que l'on ne peut pas cautionner les débordements de Galliano, mais en attendant, son génie créateur manque qu'on aime ou pas ! je dois reconnaitre que je ne suis pas toujours convaincue par toutes ses créations, mais son talent est indéniable et c'est dur de le remplacer, bisous, un article très intéressant.

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  14. @ Isabelle : je ne me sens pas matheuse pour un sou mais ça me semblait en effet plus parlant :D.
    A mon tour de te dire "dans mes bras!", tu décris à merveille le style Galliano et ce qu'il a apporté à Dior. Cossu bling-bling, c'est tout à fait ça!
    Je n'ai jamais compris l'intérêt des chaises musicales, en couture comme en politique.
    Si Jacobs faisait du Galliano, il faudrait quelqu'un pour faire du Jacobs à la place de Jacobs... absurde! Et insultant pour la créativité des stylistes, à qui on demande de faire un travail de moine copiste.

    @ Blandinette : merci, tu as toujours un mot gentil, c'est tellement sympa de ta part! Bonne semaine à toi!

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